Eau: la loi sur les redevances est attendue avec impatience à l'approche du budget
Par La Presse Canadienne
Le gouvernement Legault risque de rater une belle occasion de s’attaquer à la détérioration des infrastructures en eau potable s’il n’intègre pas au prochain budget les sommes provenant notamment de l’augmentation promise des redevances sur l’eau.
Après avoir laissé mourir au feuilleton le projet de loi 42 sur les redevances sur l’eau l’été dernier à l’approche des élections, le premier ministre François Legault a lui-même promis d’en faire une priorité dès la présente session. Or, ce projet de loi se fait toujours attendre alors que le dépôt du budget du ministre des Finances, Eric Girard, est prévu pour le 21 mars.
Le plus important regroupement d’experts en environnement au Québec, le Réseau environnement, s’inquiète de ce retard, lui qui avertit depuis des lustres que le déficit de maintien des actifs en infrastructures en eau atteint présentement 34 milliards $ et va continuer d’augmenter si on ne s’y attaque pas dès maintenant.
Ce chiffre, tiré du Portrait des infrastructures en eau potable du Québec du Centre d’expertise et de recherche en infrastructures urbaines, ne laisse pas place à l’interprétation.
Ce document souligne que 18 % des actifs municipaux en eau potable ont une cote D ou E, c’est-à-dire qu’ils sont à risque «élevé» (7 %) ou «très élevé» de défaillance.
Un urgent besoin d'amour
«Ces infrastructures ont un urgent besoin d’amour et d’investissement», affirme Mathieu Laneuville, président et directeur du Réseau environnement. Une des recommandations importantes que fait le Réseau dans le mémoire prébudgétaire remis au gouvernement du Québec est d’ailleurs «d'encourager les municipalités à augmenter leurs revenus des services d'eau pour ne pas frapper le mur qu'on voit venir avec le déficit de maintien d'actifs qui a un impact majeur pour nos prochaines générations», dit-il.
Certes, les experts savent pertinemment - et c’est là une des recommandations - que «le fédéral, le provincial et les municipalités doivent contribuer à investir dans les infrastructures en eau». Ottawa et Québec ont des fonds à leur disposition, mais il est clair que les villes doivent augmenter leurs revenus parce qu’elles n’ont pas vraiment de marge de manœuvre dans le contexte inflationnaire actuel et elles peuvent difficilement en demander plus à leurs contribuables.
D’où l’urgence, selon le Réseau environnement, de réformer le système de redevances afin d’augmenter considérablement celles-ci, le Québec étant extrêmement généreux envers les grands utilisateurs d’eau avec ses redevances faméliques.
Des redevances quasi symboliques
Ainsi, la redevance pour l’eau, au Québec, est actuellement fixée à la somme dérisoire de 0,0025 $ (ou 25 centièmes de cent) par mètre cube. En Ontario, elle est de 0,00371 $/m3 auquel s’ajoute 0,50 $/m3 pour l’eau souterraine prélevée par les embouteilleurs.
Même plus élevée en Ontario, la redevance demeure extrêmement avantageuse; à titre comparatif, le mètre cube d’eau en Europe est payé 4,48 $ au Royaume-Uni, 5,44 $ en France, 6,13 $ en Belgique, 7,39 $ aux Pays-Bas, 7,98 $ en Finlande, 10,53 $ en Norvège et 12,58 $ au Danemark (taux de conversion utilisé: 1,35 $ pour 1 euro)
«Si les villes augmentent leurs revenus des services d'eau, elles pourront en faire davantage, parce qu'il y a un gros déficit à résorber, fait remarquer Mathieu Laneuville. Les redevances, c'est de mettre un coût sur la ressource en eau. C'est de dire que quand on prélève de l'eau, notre ressource collective a une valeur.»
Intégrer les redevances au budget
Il est donc extrêmement important, selon lui, que le projet de loi sur le protection de l’eau, promis à répétition par le gouvernement Legault, soit adopté au plus vite afin de pouvoir intégrer les nouvelles sources de revenus au budget et de s’attaquer au plus vite au déficit des infrastructures en eau potable avec des programmes d’investissement massifs.
L’évaluation à long terme des experts fait état de dépenses de remise aux normes qui passeront de 34 milliards $ à 49 milliards $ d’ici 25 ans, alors que la planification gouvernementale prévoit des investissements de 22 milliards $. Le déficit, donc, demeurerait toujours très élevé, soit 27 milliards $.
Une hausse substantielle des redevances permettrait également de pourvoir le fameux Fonds bleu, une autre promesse caquiste qui vise la protection des lacs et rivières, notamment.
Le Réseau environnement demande aussi, à l’instar de plusieurs autres intervenants, que le projet de loi sur la protection de l’eau, qui doit traiter des redevances, oblige les grands utilisateurs à la transparence. Présentement, il est impossible de connaître les quantités prélevées, ce qui en soi est problématique, particulièrement pour les municipalités où les pénuries d’eau sont un risque potentiel ou déjà avéré.
Retour robuste sur l'investissement
Les investissements requis peuvent sembler colossaux, mais le Réseau environnement s’appuie lourdement sur une étude des HEC, dévoilée au printemps dernier, qui démontre que pour chaque dollar investi dans les infrastructures d’eau potable, le retour est de 1,72 $.
Ce retour prend la forme, entre autres, d’une amélioration de l’efficience, d’une réduction des bris de canalisations et d’usines et de fuites. Les impacts environnementaux sont également considérables, notamment une amélioration de la qualité des rejets d’eaux usées, une réduction des rejets de pathogènes et de polluants et, à terme, une amélioration de la santé de la population.
Enfin, le Réseau environnement souligne que des investissements majeurs seront requis de toute façon pour faire face aux changements climatiques qui sont à l’origine autant de sécheresses que d’inondations et de débordements, des événements météorologiques extrêmes de plus en plus fréquents pour lesquels il serait beaucoup plus utile et rentable de se préparer que d’éponger le coût des dégâts subséquents.
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne
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