Un séisme de magnitude 7,3 s'abattait sur Haïti il y a 15 ans
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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Au moment où la violence des gangs fait rage en Haïti, le pays se remémore les 15 ans du séisme dévastateur du 12 janvier 2010, qui a fait près de 300 000 morts. Plusieurs acteurs estiment que des solutions à moyen et à long terme doivent dorénavant être envisagées pour Haïti, qui a depuis été frappé par plusieurs autres catastrophes naturelles et des troubles politiques.
À Montréal, la Maison d'Haïti organisait dimanche une cérémonie de commémoration du drame. Selon les Nations unies, le séisme de magnitude 7,3 de 2010 a également fait 300 000 blessés et 1,3 million de sans-abris.
«C’est un moment pour commémorer, pour rendre hommage aux personnes qui sont disparues, mais aussi aux personnes qui ont sauvé les gens autour à ce moment-là. Vous savez que dans un tremblement de terre, ce sont les personnes autour de vous qui vous sauvent, avant les sauveteurs qui arrivent 48, 72 heures plus tard», explique Marjorie Villefranche, directrice générale de la Maison d'Haïti, en entrevue.
«Je pense qu’il n’y a pas une seule personne d’origine haïtienne à Montréal qui n’a pas été affectée par un deuil de quelqu’un qu’il connaissait ou de parent qui a disparu ce jour-là», ajoute-t-elle.
Depuis, plusieurs autres catastrophes naturelles se sont acharnées sur le pays des Caraïbes, dont des ouragans comme Sandy (2012), Matthew (2016) et Laura (2020) ainsi qu'un tremblement de terre de magnitude 7,2 en août 2021. Cette dernière catastrophe climatique est survenue peu après l'assassinat du président haïtien Jovenel Moïse, le 7 juillet 2021.
Aujourd'hui, Haïti se trouve toujours sans président, et le premier ministre du pays a été remplacé en novembre dernier, par Alix Didier Fils-Aimé. En 2024, la violence des gangs au pays a tué au moins 5600 personnes, selon les Nations unies.
«Ce qu’on trouve, (c’est) qu'il y a un lien entre ce qui est arrivé, le tremblement de terre et ce qui arrive maintenant», dit Mme Villefranche.
«On avait une tonne de personnes en train de nous aider lors du tremblement de terre, mais est-ce qu’on a été capable d’avoir une vision pour notre pays, est-ce qu’on nous a laissé la possibilité d’avoir une vision pour notre pays, ou est-ce que tout l’international qui est arrivé à notre chevet a encore fonctionné avec les oligarques, parce que ce sont leurs seuls interlocuteurs?», questionne-t-elle.
Chalmers Larose, chargé de cours au département de science politique de l'Université du Québec à Montréal (UQAM), lui-même un Haïtien, indique que si la réponse immédiate au séisme a été positive, la réponse par la suite lors de la période de reconstruction a participé «à un ensemble de facteurs qui ont engendré ce qu’on a aujourd’hui» en Haïti.
Celui qui est aussi codirecteur de l'Observatoire des Amériques indique que de mauvais choix ont été faits à l'époque de la reconstruction à la suite du tremblement de terre, alors que la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti, établie par le Conseil de sécurité de l'ONU, était effective au pays.
«L’indifférence par rapport à ce qui se passait en Haïti en termes de l’organisation politique du pays, ou encore les mauvais choix en termes de choix politiques sur le terrain à l’époque, en particulier le choix du gouvernement d’extrême droite du PHTK avec Michel Martelly sur le terrain, a complètement changé la donne, bouleversé le panorama politique, a détérioré encore les conditions sociales, politiques, et économiques, et a en même temps augmenté la corruption, l’insécurité, etc.», énumère M. Larose.
«Ce sont des choix politiques haïtiens, mais il faut bien comprendre aussi qu’à cette époque-là, Haïti était sous protectorat onusien. Il y avait une présence onusienne en Haïti qui dictait les règles du jeu. Et à partir de ce moment, les choix politiques qui ont été faits, il y a une coresponsabilité haïtiano-onusienne ou internationale autour du post-séisme en Haïti», ajoute-t-il.
La sécurité dans un pays en «polycrises»
François Audet, directeur de l'Observatoire canadien sur les crises et l'action humanitaires (OCCAH) de l’UQAM, indique qu'un état d'incertitude demeure toujours en Haïti.
«On est vraiment dans une déstructuration politique, il n’y a plus de système de gouvernance, il n’y a plus non plus d’appareil de sécurité pour protéger la population civile. La police nationale haïtienne reste à certains endroits un des derniers remparts pour protéger certains quartiers, certaines zones», mais elle est en sous-effectifs et manque d'armement par rapport aux groupes armés, souligne M. Audet.
Le directeur de l'OCCAH explique qu'Haïti est un pays en «polycrises», c'est-à-dire, qui vit «des crises multiples qui s’accumulent et qui s’exacerbent les unes aux autres».
M. Audet estime que la sécurité est la priorité actuellement en Haïti pour un éventuel processus de transition, particulièrement dans la capitale, Port-au-Prince. Les autorités locales et internationales doivent s'impliquer, selon lui, alors que les récents envois de contingents policiers du Kenya et de pays d'Amérique centrale ne sont pas suffisants.
«Selon les analyses, c’est encore une fois assez limité. Ce n’est pas non plus des mandats qu’on appelle coercitifs, donc ce sont des mandats qui sont davantage pour créer une ambiance de sécurité. Le contingent international n’a pas de mandat, par exemple, d’intervenir de manière sécuritaire pour arrêter, pour faire le processus judiciaire», explique-t-il.
Selon M. Larose, il est primordial de rétablir les capacités de l'État haïtien en matière de sécurité et de mettre la sécurité nationale en priorité.
«C’est un enjeu essentiel. C’est un état de guerre, il faut que ce soit perçu comme ça. Pour l’instant, ce n’est pas cette perception-là que je vois en Haïti, et je ne le vois pas non plus du côté des partenaires traditionnels. Il faut sortir de ce paradigme-là», affirme-t-il.
Le rôle de la communauté internationale et la présidence de Trump
M. Audet indique qu'en date de janvier 2025, le monde ne se trouve pas «dans une position très positive pour qu’il y ait une action concertée internationale» concernant une sortie de crise en Haïti.
«Malheureusement, ce qu’on constate, c’est qu’il y a très peu de volonté politique internationale d’avoir une réponse concertée sur Haïti. D’une part, avec ce qui se passe actuellement aux États-Unis, on comprend bien que l’arrivée du président (Donald) Trump laisse peu de place à une solidarité, ou à une aide humanitaire renouvelée», explique-t-il.
«Et du côté canadien, c’est un peu la même chose, avec le départ de (Justin) Trudeau, des élections qui s’en viennent et l’hypothèse assez probable actuellement qu’un gouvernement conservateur entrerait au pouvoir. Ce qui est annoncé dans la politique internationale d’un éventuel gouvernement conservateur, c’est qu’il y aurait une diminution de l’aide et probablement donc un impact sur certains programmes importants dont Haïti fait partie», précise-t-il.
La position de la Maison-Blanche sur Haïti sera donc à surveiller dans les prochains mois. M. Audet indique qu'il est possible que les États-Unis forcent certains partenaires internationaux, comme le Canada, la France ou d’autres pays dans la région, à investir davantage, notamment sur Haïti. «Parce qu'eux vont prétendre, c’est ce qu’on entend entre autres sur l’Ukraine, que, finalement, ils ne veulent pas être les seuls à investir dans l’armée, dans l’armement, dans la défense, etc.», précise M. Audet.
Pour M. Larose, Haïti doit diversifier ses partenaires à l'international, «puisque les partenaires traditionnels n'ont pas fait le travail».
En entrevue à l'occasion du 15e anniversaire du séisme, Mme Villefranche a souligné la solidarité dont le peuple haïtien a fait preuve lors du tremblement de terre et qui est toujours présente dans la situation actuelle qui frappe le pays.
Pour la suite des choses pour Haïti «et pour notre planète», Mme Villefranche souhaite lancer un message de résistance.
«La résistance aux inégalités, la résistance par rapport au climat. Je pense qu’on est dans une posture où nous devons résister, parce que, si nous ne résistons pas, on va disparaître», dit-elle.
Coralie Laplante, La Presse Canadienne