Un documentaire nommé aux Oscars explore les horreurs des pensionnats autochtones
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Par La Presse Canadienne, 2024
La découverte de centaines de tombes anonymes dans un pensionnat autochtone au Canada en 2021 n'a été que le catalyseur de «Sugarcane».
Julian Brave NoiseCat et Emily Kassie, les cinéastes à l'origine du documentaire nommé aux Oscars, ont passé des années à enquêter sur la vérité derrière une seule des institutions.
«Sugarcane», désormais diffusé sur la plateforme Hulu, dresse un tableau horrible des abus systémiques infligés par l'institution financée par l'État et expose pour la première fois un schéma d'infanticide et de bébés nés de filles autochtones et engendrés par des prêtres.
Au cours de l'année qui a suivi sa première au Festival du film de Sundance, «Sugarcane» a été projeté à la Maison-Blanche, au Parlement canadien et dans plus d'une douzaine de communautés autochtones d'Amérique du Nord, déclenchant un mouvement populaire et une réflexion pour trouver la vérité sur les autres écoles. C’est aussi la première fois qu’un cinéaste autochtone d’Amérique du Nord est nommé aux Oscars.
Du XIXe siècle jusqu’aux années 1970, plus de 150 000 enfants des Premières Nations ont dû fréquenter des écoles chrétiennes financées par l’État dans le cadre d’un programme visant à les assimiler à la société canadienne. Ils ont été forcés de se convertir au christianisme et n’ont pas été autorisés à parler leur langue maternelle. Beaucoup ont été battus et agressés verbalement, et jusqu’à 6000 seraient morts. Près des trois quarts des 130 pensionnats étaient dirigés par des congrégations missionnaires catholiques romaines.
Les pensionnats du Canada s’inspiraient d’établissements similaires aux États-Unis, où les confessions catholiques et protestantes ont géré plus de 150 pensionnats entre le XIXe et le XXe siècle, selon les chercheurs, qui étaient également le théâtre d’abus généralisés.
«Nous regardons trop souvent partout dans le monde les horreurs et les abus qui se produisent, et c’est important, mais les questions autochtones sont rarement à l’ordre du jour, et nous pensons qu’elles méritent de l'être», a affirmé Emily Kassie.
«Cette histoire est celle du génocide qui s’est produit en Amérique du Nord, et nous ne l’avons jamais abordée. Les peuples autochtones ont rarement été au centre de ce genre de dialogue à l’échelle nationale. Nous espérons que "Sugarcane" contribuera à changer cela.»
Le voyage personnel et inattendu vers «Sugarcane»
En tant que journaliste d’enquête et documentariste, Kassie a passé une décennie à réaliser des films sur les violations des droits de la personne dans le monde entier, de l’Afghanistan au Niger, mais elle n’avait jamais tourné son objectif vers son propre pays. Lorsque la nouvelle des tombes anonymes a éclaté, elle s’est sentie attirée par l’histoire et a contacté Julian Brave NoiseCat pour voir s’il voulait l’aider. Ils étaient devenus amis en tant que jeunes reporters à New York qui partageaient par hasard des bureaux voisins.
«Au cours des années qui ont suivi, Julian est devenu un écrivain, un penseur et un journaliste incroyable qui se concentrait sur la vie autochtone en Amérique du Nord. Cela semblait tout naturel», a-t-elle déclaré.
Alors qu’il y réfléchissait, elle est partie à la recherche d’un groupe sur lequel se concentrer et a atterri sur la Mission Saint-Joseph, près de la réserve de canne à sucre de Williams Lake, en Colombie-Britannique. Sans qu’elle ne le sache, c’était l’école que fréquentait la famille de NoiseCat. Il avait entendu des histoires sur la naissance de son père à proximité et sa découverte dans une benne à ordures. Au cours du tournage du film, ils ont découvert qu’il était en fait né dans un dortoir et retrouvé dans l’incinérateur de l’école.
«C’était un processus pour moi de décider finalement de raconter l’histoire d’une manière personnelle et familiale», a relaté NoiseCat, qui, pendant le tournage du film, a vécu avec son père pour la première fois depuis l’âge de six ans environ.
«Il est devenu très clair qu’il avait des questions non résolues depuis sa naissance et son éducation, et que j’étais en mesure de l’aider à les poser et, ce faisant, de répondre à certaines de mes propres douleurs et complications persistantes dues à son abandon», a affirmé NoiseCat.
«Le plus important, cependant, a été d’aller au Vatican avec le regretté chef Rick Gilbert et d’être témoin de son incroyable courage.»
L’impact de «Sugarcane»
«Nous avons eu une chance incroyable que ce film ait un réel impact, a-t-il ajouté. J’avais vraiment peur que de raconter une histoire aussi personnelle et parfois douloureuse puisse être une chose nuisible. Mais vraiment, heureusement, cela a été une chose thérapeutique.»
Au cours de l’année dernière, alors que le film a été diffusé dans divers festivals et pour les communautés autochtones des réserves, Kassie a dit que de plus en plus de survivants ont raconté leur histoire. En octobre, l’ancien président Joe Biden a également présenté des excuses officielles aux Autochtones pour le «péché» d’un système d’internats géré par le gouvernement qui, pendant des décennies, a séparé de force les enfants de leurs parents, le qualifiant de «tache sur l’histoire américaine».
«C’est l’histoire des origines de l’Amérique du Nord», a déclaré Kassie.
«C’est l’histoire de la façon dont la terre a été confisquée en séparant six générations d’enfants, des enfants autochtones de leurs familles (et) la plupart des gens ne le savent pas.»
Kassie a noté que si «Sugarcane» suscite des débats au sein des communautés, il intervient à un moment politique où les gouvernements ne soutiennent pas activement la poursuite des enquêtes et de la responsabilisation.
Une nomination historique aux Oscars
Dans une industrie cinématographique profondément enracinée dans le genre western et dont les représentations racistes et problématiques des Autochtones sont considérées comme des obstacles à l’expansion vers l’Ouest, la représentation authentique des histoires autochtones à l’écran en est encore à ses débuts. En 97 ans d’existence des Oscars, aucun Autochtone n’a remporté de prix d’interprétation. Lily Gladstone, qui est productrice exécutive de «Sugarcane», n'a pas gagné le prix de la meilleure actrice l'an dernier.
Lorsque la nomination aux Oscars est arrivée pour «Sugarcane», ils se sont assurés d’avoir les faits exacts avant de vanter sa propre nature historique: NoiseCat a en effet été le premier cinéaste autochtone nord-américain à en obtenir une.
«C’est vraiment spécial, a-t-il soutenu. Et en même temps, c’est assez choquant.»
«Nous espérons que le film montrera qu’il y a encore beaucoup de choses à savoir sur cette histoire fondatrice en Amérique du Nord, et qu’il faut donc l'étudier, a-t-il souligné. Ce film ne doit pas être considéré comme une fin, mais comme le début d’une véritable réflexion sur cette histoire.»
Il a ajouté: «De manière plus générale, il y a tellement d’histoires douloureuses, importantes, belles et parfois même triomphantes qui viennent des peuples autochtones (...) J’espère que davantage d’histoires, de conteurs et de films autochtones seront reconnus et réalisés.»
Si «Sugarcane» est désigné vainqueur aux Oscars le 2 mars, NoiseCat a promis que ce sera un discours de remerciement à regarder.
«Nous en ferons un moment, a-t-il indiqué. Si nous gagnons, je monterai sur scène, je dirai quelque chose, et nous le ferons bien aussi.»
Lindsey Bahr, The Associated Press