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Trouble bipolaire: des chercheurs montréalais auraient mis la main sur le Saint-Graal

durée 09h09
31 janvier 2025
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

3 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — Une équipe de chercheurs montréalais a réalisé une percée cruciale dans la compréhension des troubles bipolaires, ce qui pourrait éventuellement mener à de nouvelles thérapies pour ceux qui en sont atteints.

«Dans notre domaine, ce qu'on appelle "le commutateur d'humeur" est vraiment considéré comme le Saint-Graal de la recherche sur les troubles bipolaires», a dit le responsable de cette équipe, le professeur Kai-Florian Storch du département de psychiatrie de l'Université McGill.

«Qu'est-ce qui active ce commutateur? Qu'est-ce qui déclenche le passage d'un état à un autre?»

Le professeur Storch et ses collègues ont constaté qu'un rythme cérébral associé au cycle veille-sommeil naturel de l’organisme pourrait expliquer l’alternance entre les périodes maniaques et dépressives que traversent les personnes bipolaires, ce qui mène à une nouvelle compréhension de ce qui provoque les alternances entre les deux états.

Cette alternance semble liée à deux «horloges»: le rythme circadien, mieux connu, qui impose un cycle de 24 heures, et une horloge réglée par les neurones dopaminergiques, responsables de la vigilance. Un manque de synchronisation entre ceux deux horloges expliquerait la manifestation des états maniaque et dépressif.

La deuxième horloge pourrait même être carrément dormante chez les personnes non bipolaires.

«Le rythme produit par ces neurones dopaminergiques peut être de 48 heures, mais aussi de 72 heures, il peut être juste un peu plus long que 24 heures, a expliqué le professeur Storch. Il s'agit d'un oscillateur hautement accordable. Il peut donc adopter différentes périodicités (...) et c'est là notre principale découverte, ou le modèle clé que nous proposons, à savoir que ces deux horloges peuvent s'aligner et se désaligner. Et quand elles s'alignent, selon notre hypothèse, un état maniaque survient.»

Cela pourrait expliquer, poursuit-il, pourquoi certains patients atteints d'un trouble bipolaire alternent entre les deux états avec une régularité digne des transports en commun japonais: état maniaque un jour, état dépressif le lendemain, et ainsi de suite pendant des semaines et des mois et des années, au point où ils sont en mesure de planifier leur vie quotidienne en conséquence.

«Cela pourrait vouloir dire que les horloges sont synchronisées aux deux jours, a résumé le professeur Storch. Mais notre modèle peut en principe expliquer tous les types de cyclicité du trouble bipolaire.»

Dans le cadre de leur étude, les scientifiques ont activé cette deuxième horloge chez des souris pour créer des rythmes comportementaux similaires aux changements d’humeur caractéristiques du trouble bipolaire.

Lorsqu’ils ont ensuite perturbé l’activité des neurones productrices de dopamine du centre de récompense du cerveau des souris, ces rythmes ont disparu ― ce qui témoigne, selon eux, du rôle clé de la dopamine dans les sautes d’humeur chez les personnes bipolaires.

Les traitements actuels des troubles bipolaires tentent de stabiliser l'humeur des patients, mais ne ciblent pratiquement jamais les causes du problème.

Les médicaments actuellement utilisés, a dit le professeur Storch, parviennent à influencer cet oscillateur et à en modérer les fluctuations. Mais à la lumière de cette nouvelle étude, on constate qu'on pourrait possiblement réussir à endormir la deuxième horloge, ce qui pourrait avoir un impact énorme sur la qualité de vie et la prise en charge des patients.

«Ce qui est intéressant, c'est que les patients sentent que ces périodes vont se terminer, ils peuvent anticiper quelques jours avant quand ils vont entrer dans la phase dépressive», a dit le professeur Storch.

C'est possiblement pourquoi on constate un taux de suicide plus élevé parmi les patients atteints d'un trouble bipolaire, a-t-il complété, puisqu'il doit être «terrible» pour ces patients de sentir qu'ils quittent leur état d'euphorie pour plonger dans un «trou noir».

Les chercheurs tenteront maintenant de mieux comprendre le fonctionnement moléculaire exact de l’horloge réglée par la dopamine, et les facteurs génétiques et environnementaux qui peuvent l’activer chez l’humain. L’équipe se concentrera donc sur ces déclencheurs et sur les engrenages moléculaires.

Les conclusions de cette étude ont été publiées par le journal Science Advances.

Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne