Remarques racistes de la GRC: le juge maintient la plainte contre des manifestantes
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Par La Presse Canadienne, 2024
Un juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique a jugé que des membres de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) avaient tenu des propos «grossièrement offensants, racistes et déshumanisants» à l’encontre de femmes autochtones arrêtées en 2021 lors d’un blocage de la construction du pipeline Coastal GasLink.
Le juge Michael Tammen a déclaré dans une décision rendue mardi à Smithers, en Colombie-Britannique, que ses conclusions sur la mauvaise conduite ne justifiaient pas une suspension des procédures contre les femmes, mais qu’elles et un autre manifestant obtiendraient une réduction de leur peine pour outrage criminel comme recours «approprié».
M. Tammen a raconté que des enregistrements audio ont enregistré des policiers en train de rire et de comparer les manifestantes à des «orques», personnages monstrueux de la saga du «Seigneur des anneaux».
Il a indiqué que les commentaires racistes violaient les droits de la cheffe héréditaire Wet’suwet’en, Sleydo’ Molly Wickham, et de Shaylynn Sampson, qui ont été arrêtés par la GRC sur le territoire Wet’suwet’en près de Houston, en Colombie-Britannique.
Coastal Gas Link a obtenu une injonction pour poursuivre la construction de son pipeline, et la police est intervenue contre les bloqueurs en novembre 2021, procédant à de nombreuses arrestations.
Wickham, Sampson et un homme qui a également participé au blocus, Corey Jocko, ont été reconnus coupables d'outrage criminel pour avoir enfreint l'injonction en janvier 2024, mais ils ont demandé que l'affaire soit suspendue en alléguant une «mauvaise conduite systémique de la police pendant l'application de l'injonction».
Ils ont affirmé que la mauvaise conduite constituait un abus de procédure et voulaient que les accusations soient abandonnées en raison de violations présumées de leurs droits garantis par la Charte. Ils donnent comme raison des commentaires racistes de la police, l'utilisation d'une force excessive et une entrée sans mandat dans deux structures utilisées par les manifestants pendant le blocus.
Le juge Tammen a expliqué que Slaydo et la journaliste Amber Bracken avaient sur eux des appareils d'enregistrement qui ont été saisis par la police lors de leurs arrestations, mais que les appareils ont continué à enregistrer après avoir été placés dans des véhicules de police.
Les appareils ont capturé des conversations entre des policiers qui faisaient référence aux manifestantes «avec des termes très offensants et clairement racistes», selon le juge.
Il a indiqué que les deux femmes avaient des empreintes de mains rouges peintes sur leurs visages, «un symbole de respect et de solidarité» avec les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Les policiers ont été enregistrés en train de comparer les femmes à des «orques» et de rire.
Le juge a convenu avec la défense que les «commentaires des policiers étaient extrêmement offensants, racistes et déshumanisants» et constituaient une violation de leurs droits garantis par la Charte.
«Ces commentaires portent atteinte à l'intégrité du processus judiciaire», a déclaré M. Tammen.
Une victoire pour les manifestantes
Frances Mahon, avocate des trois accusés, a déclaré lors d'une conférence de presse en direct après la décision que la conclusion du tribunal était «extraordinairement rare».
«Aujourd'hui, ce n'était pas une victoire complète, mais c'est quand même une victoire», a-t-elle soutenu.
Me Mahon a déclaré que les conclusions du juge Tammen selon lesquelles la police avait besoin de mandats pour entrer dans les structures occupées par des manifestants étaient importantes, mais que ce sont ses conclusions sur les commentaires racistes de la GRC qui sont les plus remarquables.
M. Tammen a trouvé leur conduite «extrêmement grave», le racisme étant dirigé contre les femmes autochtones qui ont été «systématiquement désavantagées dans tous les secteurs du système de justice pénale depuis des générations».
La suggestion de la Couronne de présenter des excuses n'était pas suffisante pour exprimer une «condamnation judiciaire», a exprimé M. Tammen.
«C'est une déclaration extraordinaire de la part d'un juge, et je n'en ai jamais vu formulée de manière aussi succincte et aussi puissante dans ma carrière d'avocat», a noté Me Mahon.
Sleydo' a affirmé que les agents de l'unité de la GRC qui a appliqué l'injonction, maintenant connue sous le nom de Groupe d'intervention en cas d'incident critique, agissent comme «des mercenaires irresponsables pour l'industrie privée».
Elle a affirmé que l'affaire représentait une «confrontation» entre la loi Wet'suwet'en et la loi coloniale, et espère que la décision de M. Tammen «aidera d'autres défenseurs des terres à l'avenir».
«Je refuse de permettre aux tribunaux coloniaux de me déshumaniser et de me criminaliser, a-t-elle déclaré. J'appartiens à ma terre, à mes ancêtres et à mon peuple».
M. Jocko a déclaré plus tard dans une diffusion en direct que l'affaire depuis son arrestation a été «plus qu'une montagne russe», et, quelles que soient les conclusions, il n'a aucune raison de ne pas être fier après avoir été «poursuivi pour avoir protégé la terre et l'eau».
Outrage criminel
Le juge a estimé qu'il n'y avait aucune preuve que les attitudes racistes aient été «encouragées ou tolérées» par les dirigeants de la police, dont deux ont été «véritablement choqués et dégoûtés par les commentaires faits par leurs collègues officiers».
M. Tammen a également rejeté les allégations selon lesquelles la police aurait fait un usage excessif de la force ou employé des «ressources inutiles» pour démanteler le blocus.
«La police n'était pas au courant du nombre de manifestants qu'elle pourrait rencontrer, a rappelé M. Tammen. Ils ne participaient pas à une simple manifestation pacifique apparentée à une grève d'occupation, mais plutôt à une destruction gratuite de biens, y compris de véhicules et d'infrastructures. La police ne savait pas si les manifestants étaient armées ou violents».
L'outrage criminel est passible d'une peine maximale de cinq ans de prison, mais les personnes reconnues coupables reçoivent généralement de courtes peines, a indiqué le juge.
«Le comportement fautif était grave. Il s'agissait d'une attaque calculée, prolongée et bien organisée contre une décision de justice, a-t-il déclaré. Les actes des accusés constituaient une attaque claire contre l'État de droit.»
«L'outrage criminel, de par sa nature même, constitue une menace pour l'État de droit, sans lequel il n'y aurait pas d'anarchie.»
L'affaire sera de nouveau jugée le 3 avril pour fixer la date de la sentence.
Darryl Greer, La Presse Canadienne