Nouvelle chaire de recherche sur les perturbateurs endocriniens
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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Une chercheuse de l’Institut national de recherche scientifique (INRS) dirigera au cours des sept prochaines années la Chaire de recherche du Canada en écotoxicogénomique et perturbations endocriniennes d’une valeur de 1,4 million $.
La professeure Valérie Langlois s’intéresse depuis plus de 20 ans aux effets nocifs qu’ont les perturbateurs endocriniens et autres contaminants chimiques présents dans notre environnement sur les animaux et sur les humains.
Les perturbateurs endocriniens sont des substances qui reproduisent les effets des hormones dans l'organisme. Ils peuvent donc avoir un impact sur la fertilité et le système reproducteur ou encore avoir des effets sur le diabète, le métabolisme, l’obésité et le système neurologique. Certaines études récentes les ont associés à certains types de cancers, dont ceux du sein et de la prostate.
Leurs effets indésirables peuvent s'observer à très faible dose, et une exposition prolongée peut entraîner des effets néfastes à long terme non seulement sur ceux qui y sont exposés, mais même sur leurs descendants.
Et si certains perturbateurs endocriniens sont inoffensifs individuellement, la situation change lorsqu'on les combine à d'autres molécules.
«Ils sont difficiles à réglementer parce que ce sont souvent de faibles doses qui sont actives, a rappelé la professeure Langlois. Et parce qu'ils sont actifs à faible dose, on ne peut pas mettre de maximum résiduel dans les écosystèmes.»
Mme Langlois s'inquiète de constater que, depuis dix ans, on remarque une hausse des perturbateurs endocriniens dans l’environnement, et ce, malgré les nombreux signaux d’alarme lancés par la communauté scientifique à leur propos.
«Il faut continuer à mettre des ressources pour les reconnaître et pour les caractériser, a-t-elle dit. On a besoin d'outils pour les réduire dans nos écosystèmes. Par exemple, dans nos eaux usées, on peut vérifier s'ils sont présents avant de renvoyer cette eau dans l'environnement.»
Elle souligne à ce sujet que son laboratoire a développé des lignées cellulaires «ultra sensibles» qui, quand on les expose à des eaux usées, permettent de déterminer si les perturbateurs endocriniens qu'elles contenaient ont bel et bien été neutralisés.
Occuper une chaire de recherche, explique la professeure Langlois, permet de sortir du laboratoire pour pouvoir travailler sur tous les fronts, qu'il s'agisse d'éducation du public, de réglementation ou encore de sensibilisation.
«Ce sera mon cheval de bataille pour les sept prochaines années, a-t-elle dit. En anglais on parle de 'one health', l'idée de voir la santé comme un tout. Une chaire, c'est une occasion de mettre en avant un enjeu environnemental, mais aussi un enjeu de santé publique et de santé environnementale.»
Il est donc urgent d’agir afin de mieux contrôler les risques que représentent les perturbateurs endocriniens pour le vivant, l’environnement et l’avenir des populations, a-t-elle dit.
Elle estime qu'il est primordial de pousser plus loin la sensibilisation de la population à cette problématique afin de créer un meilleur équilibre entre les comportements sociaux et les dangers des perturbateurs endocriniens, et que cette conscientisation doit se faire dès le plus jeune âge.
«Ce n'est pas parce que c'est trop compliqué qu'il faut balayer ça sous le tapis, bien au contraire, a dit la professeure Langlois. C'est parce que c'est compliqué qu'il faut s'attarder à essayer de comprendre comment on peut améliorer la situation.»
Mais les changements ne sont pas faciles à obtenir, a ajouté la chercheuse, qui cite en exemple le bisphénol A.
«Le BPA a été conçu comme un œstrogène synthétique pour traiter les femmes, a-t-elle rappelé. Des décennies plus tard, on l'a ajouté pour donner plus de souplesse au plastique. Et là on est surpris que le plastique qui contient du BPA, où tous les autres agents de substitution (qui ont été inventés), cause des effets? Je trouve ça un peu absurde.»
Et même si on sait depuis 40 ou 50 ans que le BPA a des effets œstrogéniques, a-t-elle déploré, «rien ne change».
Elle espère que sa chaire de recherche l'aidera à «briser les silos» dans lesquels les gens de science sont souvent enfermés afin de favoriser un dialogue qui pourrait mener à l'émergence de nouvelles solutions.
«Le public est plus éduqué, on sait que le plastique reste dans les écosystèmes, que ça devient des microplastiques ou des nanoplastiques et que ça relâche des contaminants, a dit la professeure Langlois. Je ne suis pas dans une approche de reproches. On a besoin de ces produits-là et l'intelligence humaine est incroyable. Est-ce qu'on ne pourrait pas les améliorer pour qu'il y ait moins de risques pour les écosystèmes?»
Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne