Mauvaise communication blâmée pour une simulation de tireur actif qui a mal tourné
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Par La Presse Canadienne, 2024
OTTAWA — Une mauvaise communication reposant, bien souvent, sur une liste d’envoi de courriels «erronée et obsolète» ainsi qu’une formation inadéquate donnée à des fonctionnaires de la base militaire de Longue-Pointe, à Montréal, ont fait dérailler une simulation de tireur actif à laquelle ont été soumis ces employés.
Durant l'exercice qui a eu lieu au 202e dépôt d'ateliers de la base militaire, deux membres du personnel ont été blessés, dont l'un qui a été traîné au sol, puisque confondu par la personne qui jouait le rôle du faux tireur.
Un document qui résume une enquête interne menée par le ministère de la Défense identifie des failles de communication et une formation préparatoire inadéquate comme étant deux raisons centrales ayant mené aux «lacunes» de l’exercice.
«Selon mon évaluation, (l’exercice) représentait une escalade significative en termes d’ampleur et de portée de l’exercice, mais sans une augmentation conséquente de la coordination, de la communication ou de la formation», peut-on lire dans le sommaire d’enquête de 23 pages récemment obtenu par La Presse Canadienne.
La mise en situation qui a mal tourné, le 12 novembre dernier, incluait, pour une première fois en dix ans, le recours à des armes chargées avec des cartouches à blanc. L'emploi de ce type de cartouches déclenche une détonation audible même si aucune balle létale n'est tirée.
Le but était de donner un effet plus réel au scénario, mais les employés n’ont jamais été avisés de la date exacte de l’exercice et ont donc été pris par surprise.
Les fonctionnaires touchés sont restés avec une «frustration et de la colère», souligne-t-on dans le document signé par le colonel Robin Chenard, qui note avoir ordonné l'enquête interne.
Durant la planification de la simulation, des unités appelées, dans le jargon du ministère de la Défense, les «bureaux de première responsabilité» de chaque bâtiment ou BPR avaient été assignés à la tâche de superviser le déroulement de l’exercice. Toutefois, ils n’ont, dans la plupart des cas, pas reçu le mémo en raison d’un envoi à une liste de courriels qui n’était pas à jour.
«Trois des quatre BPR ont rapporté qu’ils ne savaient pas qu’ils avaient été assignés comme BPR de bâtiment, et, par conséquent, n’ont pris aucune mesure de coordination avant l’exercice», a-t-on écrit.
L’un d’eux, dans le bâtiment 10, a quant à lui «suivi les procédures appropriées», mais n’a pas pu respecter le processus établi, étant donné la présence de «deux tireurs actifs distincts». De plus, on note qu’il n’a pas eu assez de temps pour «se positionner en tant qu’observateur» puisqu’il «n’a pris connaissance du début de l’exercice qu’en entendant des coups de feu dans le bâtiment».
Un son d’alarme aurait dû donner le coup d’envoi, mais celui-ci ne s'est pas fait entendre. Le colonel Chenard recommande donc une vérification régulière des systèmes.
Les BPR devaient aussi «coordonner» une formation obligatoire pour les employés qui devait être complétée avant la simulation. Ces responsables devaient aussi «rendre des comptes».
Encore une fois, «le courriel pertinent a été envoyé à une liste obsolète de BPR» et aucun suivi n’a été fait. À la lumière de statistiques mentionnées dans le document, 37 des 248 employés du 202e dépôt d’ateliers n’avaient pas complété la formation, dont l'un des deux employés ayant été blessés.
Or, même ceux qui ont suivi la formation n’étaient pas bien préparés, a conclu le colonel. «Le module de formation, qui consistait en une présentation PowerPoint et une vidéo, n’a pas préparé adéquatement les employés à un exercice impliquant un tireur actif de cette nature.»
Un employé qui était présent lors des événements du 12 novembre estime que la simulation s'est déroulée dans le «chaos total». «C'est comme s'il n'y avait pas de responsable sur la base qui menait l'opération», s'est rappelé cet employé en entrevue.
La Presse Canadienne a accordé l'anonymat à cet employé puisqu'il craignait de subir des répercussions professionnelles négatives en raison d'un mot d'ordre donné par des supérieurs de ne pas s'adresser aux journalistes.
Cette personne a dit avoir «des doutes» que tout sera fait pour qu'un tel incident ne se reproduise pas. «C'est comme s’ils veulent passer ça sous le radar, que ce n'est pas grave. C'est comme ça que je le conçois», a-t-elle soutenu.
Le ministre de la Défense, Bill Blair, reconnaît la gravité de l'incident, selon une déclaration écrite envoyée par son bureau.
En décembre dernier, il était préparé à aborder le sujet en Chambre si un élu d'un parti d'opposition l'interpellait au cours de la période des questions. Cela n'a pas été le cas, mais, autrement, M. Blair était prêt à assurer que les leçons nécessaires seront tirées.
«Dans le cadre de l’enquête en cours, notre priorité est de comprendre les circonstances qui ont conduit à cet incident malheureux afin d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise», peut-on lire dans ses notes préparatoires pour la joute oratoire.
L'enquête que résume le document obtenu par La Presse Canadienne n'est qu'un de plusieurs processus en cours.
Stéphane Goulet, président de la section locale du syndicat représentant le personnel touché, l'Union des employés de la Défense nationale (UNDE), précise qu'un grief est sur la table, de même qu'un avis d'incident pour violence en milieu de travail.
Le Service de police de la Ville de Montréal et la police militaire faisaient partie de la mise en scène aux allures réelles. Le second corps policier est blâmé par l'UNDE pour l'incident ayant entraîné des blessures.
«On peut comprendre le contexte ou le fondement de vouloir tenir ce type d'exercice là. Par contre, pas de la façon que ça a été fait», a soutenu M. Goulet.
L'effet a été tel pour certains employés qu'au moins cinq ont dû prendre congé pour consulter un médecin, selon ce qu'a indiqué le président. Ce dernier a spécifié que deux personnes ont été placées en arrêt de travail à la suite des événements.
À l'avenir, le syndicat devrait être consulté un mois à l'avance pour tout scénario futur, recommande le colonel Chenard dans son rapport.
M. Goulet a affirmé qu'une simulation semblable serait plus appropriée si elle se tenait en dehors des heures régulières de travail et avec la participation volontaire des employés qui sont à l'aise qu'un faux tireur actif muni d'une arme chargée à blanc fasse partie de l'équation.
«Mais que ce soit sous forme d'une surprise, comme ça, avec de réels coups de feu, de tirer à l'intérieur des murs, des bâtisses», a-t-il énuméré.
Dans le sommaire du rapport, il est recommandé de «considérer» d'opter pour une formule de participation volontaire qui se déroulerait après les quarts de travail, comme le souhaite le syndicat. Quoi qu'il en soit, l'idée serait de «continuer avec un exercice de pratique sans tireur actif pour toutes les unités hébergées, similaire à un exercice d’évacuation incendie».
Émilie Bergeron et Kyle Duggan, La Presse Canadienne