Les personnes aînées LGBTQ+ craignent de s'affirmer dans les résidences


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Une certaine sensibilisation aux enjeux LGBTQ+ s'opère dans les milieux pour aînés, mais «ce n'est pas révolutionnaire», selon des experts. De nombreuses personnes âgées issues de la diversité sexuelle et de genre retournent dans le placard lorsqu'elles débarquent en résidence et elles évitent même les services de santé par crainte d'être pointées du doigt.
«Il y a une forte volonté des personnes homosexuelles de rester à domicile et de mourir à domicile. Vous me direz que c’est tout le monde, mais encore plus je crois chez les personnes homosexuelles. Et dans certains cas, ça peut aller jusqu’à une crainte de s’adresser aux services, […] ils ne veulent pas une prise en charge tellement ils n’ont pas confiance. C’est plate parce que ça veut dire qu’ils se privent de soins de santé», expliquait en entrevue au début de l'année Line Chamberland, professeure retraitée associée au Département de sexologie de l'UQAM.
Julien Rougerie, spécialiste contenu diversité sexuelle et pluralité des genres à la Fondation Émergence, soulève que même lorsqu'ils habitent encore dans leur maison, les aînés LGBTQ+ qui ont besoin de services à domicile vont hésiter à en faire la demande parce qu'ils auront peur de la réaction d'autrui.
«C’est quand même assez bien documenté, les minorités sexuelles et de genre hésitent à aller vers les services sociaux et de santé et les services communautaires parce qu’elles doutent que ce sera inclusif», soulignait M. Rougerie lors d'une entrevue en décembre.
«Parfois le domicile c’est le seul lieu où les personnes s’autorisent à être elles-mêmes», poursuit-il. Avant de laisser entrer quelqu'un, certaines personnes vont se demander si elles ne devraient pas retirer des éléments de leur maison qui pourraient divulguer qu'elles sont LGBTQ+, par exemple des photos de leur conjoint ou conjointe.
Des personnes âgées LGBTQ+ se sentent contraintes de retourner ou de rester dans le placard dans les milieux pour aînés notamment parce qu'elles ont vécu dans une société où c’était un crime, une maladie, une honte, explique M. Rougerie.
«Il y a aussi le fait que la société continue d’être hétéronormative. On reste quand même dans une société où la norme, c’est le fait d’être hétérosexuel ou cisgenre. C’est toujours très vrai dans les milieux aînés», indique-t-il.
En plus de la stigmatisation sexuelle et de genre, l'âgisme vient s'ajouter au lot pour les aînés. «On est une société très âgiste, fait valoir M. Rougerie. On l’a vu un petit peu pendant la COVID… comment on traite les personnes âgées dans notre société. C’est deux choses qui invisibilisent. Les personnes âgées, on les réduit à des stéréotypes de personnes âgées et les personnes LGBTQ+, on les réduit à des enjeux de sexualité. […] Tout ça, ça ne laisse pas beaucoup de place à l’humanisation des personnes aînées.»
Mme Chamberland nuance que la stigmatisation peut être vécue différemment selon l'âge. «Les plus âgés, ceux qui ont vécu leur vingtaine et leur trentaine avant les années 1970, ils avaient tellement l’habitude du placard que c’est plus incorporé en eux et en elles de ne pas le dire. Ils n’ont pas toujours le sentiment de se cacher lorsque ce n’est pas dit parce que c’est comme ça qu’ils se sont protégés toute leur vie. Ils ont vécu dans un environnement hostile, souvent sans le clamer.»
Elle souligne que les baby-boomers âgés entre 60 et 80 ans ont connu des périodes d’ouverture et de gains législatifs. «Ils ont pris l’habitude de ne pas dissimuler des gestes et des situations de vie. Pour eux, c’est difficile», dit-elle.
Sensibiliser lentement, mais sûrement
Mme Chamberland, également membre de la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres de l'UQAM, soutient qu'il n'y a pas vraiment d'enquête en cours qui examine spécifiquement la situation dans les résidences pour personnes âgées au Québec. Elle affirme que lorsqu'il y a des recherches, c’est très difficile de recruter des participants dans les résidences. «C’est un indice que ce n’est pas si ouvert que ça», dit-elle.
La Fondation Émergence donne depuis 15 ans des formations dans les milieux pour aînés, qui s'adressent surtout aux employés de ces milieux. La fondation offre aussi des cafés-causeries et des ateliers pour les résidents.
Les effets de ce programme sont difficiles à évaluer, selon Mme Chamberland. «Ce qu’on sait, c’est qu’il y a plus d’ouverture qu’il y en avait il y a une dizaine d’années envers ces questions», souligne-t-elle. Ceci dit, elle mentionne qu'il est difficile de savoir comment l'information et la sensibilisation sont retenues par les employés et comment cela est appliqué.
«Ce qu’on sait, c’est que les aînés, a priori, ont beaucoup d’anticipations assez négatives quant à l’accueil qui leur serait fait dans les résidences. Ça varie, mais les personnes trans et non binaires sont celles qui sont les plus craintives, c’est vraiment très fort comme appréhension», indique Mme Chamberland.
De son côté, M. Rougerie estime que les milieux pour aînés deviennent un peu plus accueillants, même que certaines résidences contactent la fondation spontanément pour avoir des formations. Il a raconté qu'auparavant, la Fondation Émergence devait convaincre les résidences que ça existait les aînés LGBTQ+, certaines affirmant qu'elles n'en avaient pas chez elles.
«Il y a quand même une prise de conscience qui s’est faite dans les dernières années, après ce n’est pas révolutionnaire. Tous les milieux ne sont pas en train de se sensibiliser malheureusement. Mais il y a un effet boule de neige qui est en cours, même si la boule de neige est de taille modeste pour le moment», commente M. Rougerie.
Les générations plus jeunes ne devraient pas vivre le même genre de stigmatisation lorsqu'elles seront vieilles. «Les personnes âgées LGBTQ+ d’aujourd’hui ont vécu dans une société tellement hostile à la diversité sexuelle et de genre, pendant une bonne partie de leur vie du moins, qu’elles n’ont pas eu d’autre choix que de le cacher pour une question de survie, raconte M. Rougerie. Les personnes qui sont jeunes aujourd’hui, elles l’auront moins vécu quand elles seront rendues à un âge avancé.»
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Katrine Desautels, La Presse Canadienne