Les nombreux pardons de Trump soulignent les différences avec le système canadien
Temps de lecture :
4 minutes
Par La Presse Canadienne, 2024
OTTAWA — Un premier ministre canadien nouvellement élu pourrait-il imiter le président américain Donald Trump et gracier 1500 personnes à la fois pour marquer sa prise du pouvoir ?
Par le passé, des politiciens canadiens ont lancé des procédures judiciaires pour gracier des fermiers des Prairies ou effacer des condamnations pour des comportements sexuels autrefois interdits par la Loi.
Toutefois, il existe des différences importantes entre les systèmes canadien et américain.
Aux États-Unis, le chef de l'État tire son pouvoir de clémence de la Constitution américaine. Les divers présidents l'ont souvent utilisé depuis la fondation du pays, à commencer par le premier d'entre eux, George Washington.
L'American Bar Association souligne qu'il existe des limites aux mesures de clémence d'un président: celui-ci ne peut pas accorder son pardon pour un crime d'État. Et les experts constitutionnels débattent toujours sur l'idée qu'un président peut accorder une grâce à lui-même.
Dans les États, les pratiques peuvent varier.
Au Canada
Les personnes condamnées pour un crime peuvent obtenir la suspension de leur casier judiciaire en en faisant la demande auprès de la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Le requérant doit avoir purgé toute sa peine et démontrer qu'il est un citoyen respectueux de la Loi depuis un certain nombre d'années.
La suspension d'un casier ne signifie pas que celui-ci sera effacé. Selon le site internet du gouvernement canadien, elle a pour effet «de retirer le casier judiciaire d'une personne de la base de données du Centre d'information de la police canadienne». L'objectif est de permettre à la personne d'accéder à des emplois et à l'éducation et de réintégrer la société.
En 2019, le Parlement canadien a adopté un projet de loi visant à mettre en place une procédure accélérée et sans frais de suspension de casier judiciaire pour la possession simple de cannabis.
Prérogative royale de clémence
Cette prérogative est un large pouvoir discrétionnaire permettant au gouverneur général ou au conseil des ministres fédéral de gracier un condamné dans des circonstances exceptionnelles.
Le Code criminel autorise le conseil des ministres et le gouverneur général à accorder un pardon absolu ou un pardon conditionnel à toute personne déclarée coupable d’une infraction. Selon le Code, la personne recevant un pardon absolu «est par la suite réputée n’avoir jamais commis l’infraction à l’égard de laquelle le pardon est accordé».
La Commission des libérations conditionnelles du Canada précise que ce pouvoir peut être exercé après l’avis d’au moins un ministre, le plus souvent celui de la Sécurité publique.
C'est cette agence qui examine les demandes de clémence, mène des enquêtes et formule des recommandations.
En 2012, le gouvernement conservateur de Stephen Harper avait usé de la prérogative royale pour gracier des fermiers des Prairies qui avaient transgressé la Loi en transportant leurs grains aux États-Unis pour le vendre là-bas.
Le gouvernement venait alors d'abolir le monopole de la Commission canadienne du blé sur les ventes de blé et d'orge.
Radiation
En 2017, le gouvernement Trudeau a présenté le projet de loi sur la radiation de condamnations constituant des injustices historiques. Il s'agissait d'un des éléments des excuses formelles présentées à la communauté LGBTQ pour des condamnations ayant ruiné des carrières et des vies.
La loi permettait initialement aux personnes de demander à la Commission des libérations conditionnelles qu'elle accorde la radiation des condamnations pour activités sexuelles entre personnes consentantes du même sexe. La liste des infractions a été étendue pour inclure des actes de grossière indécence ou des cas d'avortement qui ne figurent plus au Code criminel.
La succession d'un individu décédé peut elle aussi remplir une demande.
Jeffrey Meyers, un professeur de criminologie à l'Université polytechnique de Kwantlen, à Surrey, en Colombie-Britannique, dit que les pays qui respectent les règles de droit permettent aux élus d'exercer un pouvoir de clémence. Toutefois il lance une mise en garde.
«On peut en abuser. Cela peut devenir potentiellement dangereux. Parce que cela implique l'exercice sans contrainte d'un pouvoir de l'exécutif pour renverser, et donc saper, le pouvoir judiciaire.»
Les pardons aux fermiers et aux partenaires de même sexe sont des indications des politiques respectives des gouvernements Harper et Trudeau, mentionne Kate Puddister, une professeure agrégée du département de sciences politiques de l'Université de Guelph, en Ontario.
Elle rappelle que ces mesures ont été mises en place pour régler des injustices causées par des lois qui ne sont plus en vigueur. Selon elle, cela démontre que le système canadien des clémences est différence du pardon présidentiel aux États-Unis.
Neil Boyd, professeur émérite de criminologie de l'Université Simon-Fraser, en Colombie-Britannique, ne peut imaginer un gouvernement canadien accorder un pardon pour des actes de violence criminelle.
«C'est ce qui se passe actuellement aux États-Unis. On a décrit cela de façon juste comme une flagrante attaque contre le processus démocratique et contre l'État de droit.»
— Avec des informations de l'Associated Press
Jim Bronskill, La Presse Canadienne