Les députés siègent toute la nuit à Québec pour étudier le projet de loi sur Stablex


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Par La Presse Canadienne, 2024
QUÉBEC — La procédure d'adoption, sous bâillon, du projet de loi visant à permettre l'agrandissement d'un dépotoir de déchets dangereux de l'entreprise Stablex à Blainville, qui s'est amorcée jeudi soir à l'Assemblée nationale, est toujours en cours vendredi matin.
Les députés de l'opposition ont passé la nuit à questionner la ministre des Ressources naturelles et des Forêts, Maïté Blanchette Vézina, au sujet de ce projet de loi controversé.
Après l'adoption du principe du projet de loi, vers 1 heure, les députés sont passés à l'étude détaillée de la pièce législative, qui prévoit l'étude article par article du projet de loi. Cette étape se poursuivait vendredi matin.
Le gouvernement Legault a imposé le bâillon pour forcer l'adoption rapide du projet de loi 93, malgré la contestation de l'opposition, des municipalités et d'organismes environnementaux.
Cette pièce législative exproprie la Ville de Blainville contre son gré, au coût de 17 millions $, afin d'accorder à la filiale québécoise de l'entreprise américaine Stablex le terrain qu'elle convoite.
Même si la Ville de Blainville est farouchement contre ce projet de loi, le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) a maintenu le cap, invoquant l'urgence d'agir afin d'éviter un bris de service.
La compagnie soutient qu'elle aura atteint la pleine capacité de stockage d'ici à deux ans, soit 400 000 mètres cubes jusqu'en 2027. L'opposition riposte qu'un rapport du BAPE de 2023 estimait qu'il y avait de la marge jusqu'en 2030.
L'entreprise plaide qu'il lui faut faire les travaux de déboisement du terrain projeté d'ici au 15 avril — avant l'entrée en vigueur d'une loi fédérale — et qu'il lui faudra deux ans pour préparer le site qu'elle convoite, qui lui permettrait de poursuivre ses activités pour une quarantaine d'années.
Blainville a offert un autre terrain adjacent, une option écartée autant par le gouvernement que par l’entreprise, qui le considèrent trop près, à 300 mètres, d’un quartier résidentiel, par rapport à une distance d'un kilomètre pour le terrain privilégié.
Pendant les débats, dans la nuit de jeudi à vendredi, la ministre Blanchette Vézina a continué de défendre le choix du terrain sélectionné par le gouvernement et l'entreprise.
«On est conscient d'avoir fait une analyse qui est juste, qui est responsable, en regardant la balance des inconvénients, surtout le fait qu'on ne veut pas de bris de service», a-t-elle plaidé.
«C'est le terrain qui nous permet d'éviter un bris de service, en mitigeant les impacts», a-t-elle tranché.
Or, le projet d'agrandissement coûterait 150 millions $ à Stablex sur le terrain qu'elle veut, plutôt que 250 millions $ sur celui proposé par la Ville de Blainville: l'entreprise y a entreposé des tonnes d'argile et il coûterait donc 100 millions $ de plus pour convoyer cette matière ailleurs.
«Lamentable dénouement»
La mairesse de Blainville, Liza Poulin, a tenté à plusieurs reprises de convaincre le gouvernement Legault de revenir sur sa décision, sans succès.
Dans une vidéo publiée jeudi soir sur les réseaux sociaux, Mme Poulin a une fois de plus exhorté les parlementaires de «bien réfléchir à la décision qu'ils auront à prendre et qui aura des conséquences à perpétuité».
«Si le gouvernement du Québec adopte tout de même son projet de loi, la Ville de Blainville et la Communauté métropolitaine de Montréal utiliseront la voie des tribunaux pour défendre les intérêts de la population qu'on représente fièrement», a-t-elle déclaré, parlant d'une «journée bien sombre» pour sa municipalité.
Les trois partis d'opposition à l'Assemblée nationale sont contre ce projet de loi, qui sera adopté sous bâillon de surcroît.
«Cinq heures du matin… Sous bâillon, nous poursuivons l’étude du projet de loi 93, taillé sur mesure pour répondre, sans délai et sans débat, à toutes les demandes et (tous les) intérêts d’affaires de Stablex», a dénoncé le député péquiste Joël Arseneau, vendredi matin, sur le réseau social X.
«Honteuse mise en scène, lamentable dénouement.»
Jeudi, le député Guillaume Cliche-Rivard, de Québec solidaire, avait qualifié la manoeuvre d'hallucinante.
«La CAQ est prête à s'agenouiller devant l'entreprise et lui donner tout ce qu'elle demande», a pour sa part accusé la députée libérale Virginie Dufour.
«Ce n'est pas très édifiant ce qu'on s'apprête à faire», a déploré sa collègue libérale Michelle Setlakwe.
La CAQ défend son choix
Au début des débats, jeudi soir, le leader parlementaire du gouvernement, Simon Jolin-Barrette, a reconnu que la CAQ «ne gagnera pas un concours de popularité avec cette décision».
«Mais par contre, quand on fait du service public, ce n'est pas pour être populaire, ce n'est pas pour des "likes", mais c'est pour prendre des décisions qui sont difficiles», a-t-il soutenu.
«La balance des inconvénients ne nous laisse pas le choix (…) pour éviter un préjudice irréparable au bien-être et dans l'intérêt général de la population.»
Le centre de traitement de déchets industriels de Stablex comprend actuellement une usine de traitement et cinq cellules d'enfouissement. Les déchets traités proviennent, par exemple, de l’industrie minière ou encore de l’industrie pharmaceutique.
Patrice Bergeron et Mathieu Paquette, La Presse Canadienne