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Le Québec manque de gériatres pour répondre au vieillissement de la population

durée 10h00
5 avril 2025
La Presse Canadienne, 2024
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5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — Le Québec est l'une des nations avec le plus de personnes âgées en proportion de sa population — d'ici cinq ans, une personne sur quatre sera âgée de 65 ans et plus au Québec. On aurait besoin de plus de gériatres, ces médecins spécialistes qui soignent les personnes âgées, mais cette spécialité médicale peine à trouver une relève pour s'occuper des aînés.

On compte actuellement 148 gériatres à travers toute la province. L'Association des médecins gériatres du Québec (AMGQ) calcule qu'il en faudrait au minimum 211 pour qu'il y ait un ratio d'un gériatre par tranche de 4000 habitants de 75 ans et plus. «Ce chiffre-là pourrait évoluer dans le temps en fonction de la courbe démographique», précise Dre Julia Chabot, gériatre et vice-présidente de l'AMGQ.

«Les conditions de santé des personnes âgées peuvent demander une expertise qui est assez pointue. Ça ne veut pas dire que toutes les personnes âgées au Québec ont nécessairement besoin d'être évaluées par un gériatre. Par contre, il va y avoir certaines personnes qui vont présenter des conditions de santé particulières qui vont bénéficier d'être vues par un gériatre. Donc à 148, c'est certain que ce n'est pas suffisant», tranche Dre Chabot.

Le Dr José Morais, chef de la division de la gériatrie du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), croit aussi que les besoins dépassent les ressources disponibles. «Même en milieu urbain où il y a davantage de gériatrie, la population âgée est tellement énorme qu'on ne suffit pas. On a des listes d'attente dans nos cliniques externes, nos hôpitaux sont remplis de personnes âgées», dit-il.

Il estime qu'environ 55 % des patients admis au CUSM ont plus de 75 ans, ce qui exige une attention particulière du personnel soignant, car ils sont nombreux à ressortir de l'hôpital avec une perte de capacité fonctionnelle. «Les gériatres sont très demandés en consultation pour justement participer aux soins et prévenir la perte d'autonomie. [...] Il y a un besoin criant de davantage de gériatres présents pour le bon fonctionnement de l'hôpital», dit-il.

Les aînés, pas tous dans le même panier

Certaines personnes âgées sont en bonne santé, même en très bonne forme pour certains, mais globalement, la majorité des soins de santé dont aura besoin un humain sont prodigués vers la fin de sa vie.

«C'est un grand défi qu'on a. On a un vieillissement de la population qui est extrêmement hétérogène. On a des personnes qui sont plus âgées, qui ont très peu de problèmes de santé et vice versa. Pour nous, c'est quelque chose qui est très important parce qu'on ne veut pas mettre le vieillissement tout dans le même panier», souligne Dre Chabot.

Les personnes âgées de 85 ans et plus sont l'une des populations avec la croissance la plus rapide au Canada. À cet âge avancé, plusieurs patients ont des comorbidités et une perte de fonction cognitive. C'est dans ce genre de situation que le médecin gériatre intervient.

«Ce sont des cas où il y a une perte d'autonomie, des chutes à répétition, de la confusion, indique le Dr Morais. C’est un ensemble de maladies chroniques difficiles à gérer, mais ce ne sont pas toutes les personnes en haut de 65 ans qui ont besoin d'un gériatre. On calcule que ce sont surtout les patients âgés qui ont un certain niveau de vulnérabilité. Notre clientèle, souvent, elle a 80 ans et plus. Il y a de moins en moins de patients entre 65 et 80 ans dans nos cliniques.»

Dr Morais est d'avis que les gens sous-évaluent l'impact de la gériatrie. «On est présent dès l’urgence, sur les étages [à l'hôpital] et aussi aux cliniques externes pour couvrir toute la panoplie des besoins des personnes âgées. Mais on est limité par notre nombre», dit-il.

Manque de temps du personnel

En 2011, le ministère de la Santé et des Services sociaux a mis sur pied l'Approche adaptée à la personne âgée (AAPA) en milieu hospitalier. Cette approche incluait notamment les signes AÎNÉES. Chaque lettre est un aide-mémoire pour évaluer la personne âgée pendant son séjour à l'hôpital (A pour autonomie, I pour intégrité de la peau, N pour nutrition et hydratation, É pour élimination, É pour État cognitif et S pour sommeil).

Selon la Dre Josée Filion, directrice du programme de gériatrie à l'Université de Montréal, l'initiative du gouvernement était bonne, mais il est difficile de la mettre en place avec la pénurie de personnel. «Ça avait été fait pour contrer la pénurie de personnel, le débordement des urgences et les nombreux préjugés dont sont victimes les personnes âgées. C'était en 2011, mais c'est encore tellement d'actualité. Déjà, si on faisait ça, juste de mettre en application correctement cette approche adaptée, ça serait vraiment mieux», estime-t-elle.

Mais les professionnels de la santé, qui sont débordés, manquent de temps. Trop souvent, les signes AÎNÉES sont faits rapidement ou pas du tout, se désole Dre Filion.

«La mise en place, elle est faite partout au Québec, mais je pense qu'on peut continuer à travailler tout le monde ensemble pour la renforcer, puis s'assurer qu’on la fait de la meilleure façon possible», ajoute la vice-présidente de l'AMGQ.

Son association professionnelle souhaite mettre en place un projet de «gériatre répondant» pour contrer la pénurie de personnel qui sévit dans le réseau de la santé. «C'est un projet où on veut que la deuxième ligne se rapproche finalement de la première ligne. Par exemple, si un médecin de famille évalue un patient et aimerait voir le cas avec un gériatre pour une raison XYZ, qu'on puisse être capable d'être au bout du fil, au bout de la télémédecine, au bout d'un ordinateur. Qu'on puisse être beaucoup plus présent pour pouvoir les supporter à travers ce processus-là», détaille Dre Chabot.

L'AMGQ travaille avec le ministère de la Santé pour être capable de mener à terme ce projet bientôt. Le but est de trouver des solutions pour répondre aux défis du vieillissement de la population qui sont déjà présents, mais aussi qui se profilent à l'horizon.

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Katrine Desautels, La Presse Canadienne