Le Canada devrait bloquer l'ambassadeur américain tant que Trump parle d'annexion
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Par La Presse Canadienne, 2024
OTTAWA — Ottawa devrait bloquer l'ambassadeur américain au Canada choisi par Donald Trump jusqu'à ce que ce dernier cesse de remettre en question la souveraineté du pays, dit un expert.
«Nous pourrions potentiellement utiliser (cela) comme un moyen de signaler le sérieux avec lequel le gouvernement du Canada considère ces discussions indésirables», a déclaré Will Greaves, professeur de relations internationales à l'Université de Victoria.
«Il s'agit d'une politique ouvertement agressive et (Donald Trump) semble orienter son administration vers son approbation. Et si nous sommes un tant soit peu sérieux en tant que pays, nous devrions considérer cela comme une action hostile et adopter un plus large éventail d'outils dans notre réponse à cela.»
Le président Trump a déclaré à plusieurs reprises pendant des semaines qu'il voulait faire du Canada un État américain et a menacé de le faire par la coercition économique, ce qui a incité ses responsables à faire des commentaires similaires.
Le premier ministre Justin Trudeau a d'abord qualifié ces commentaires de plaisanteries. Mais il a déclaré vendredi dernier aux chefs d'entreprise que l'idée d'absorber le Canada «est une chose réelle» pour le chef d'État américain, en raison de la richesse du Canada en ressources naturelles.
Donald Trump a affirmé dimanche qu'il pourrait facilement adopter des politiques économiques qui «ne permettraient pas au Canada d'être un pays viable», comme la fermeture du secteur automobile canadien.
«Sans les États-Unis, le Canada n'a pas vraiment de pays. Ils font presque toutes leurs affaires avec nous», a soutenu M. Trump.
Une «nomination de patronage»
Les protocoles diplomatiques régissant la manière dont les pays nomment un chef de mission impliquent de faire une demande officielle au pays d'accueil pour qu'il accepte la nomination avant l'arrivée de l'ambassadeur. Les ambassadeurs qui arrivent présentent ensuite leurs lettres de créance officielles au gouverneur général.
Donald Trump a annoncé en novembre dernier qu'il avait choisi l'ancien membre du Congrès du Michigan Pete Hoekstra pour être le prochain envoyé américain au Canada.
Bien que M. Hoekstra doive encore être confirmé par le Sénat américain, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, l'a accueilli comme quelqu'un qui comprend l'importance du commerce transfrontalier.
Bien que les ambassadeurs du Canada à Washington aient parfois des liens politiques, ils sont généralement nommés en raison de leurs compétences diplomatiques et jouent un rôle majeur dans la gestion de la relation bilatérale la plus importante du pays.
M. Greaves a déclaré que l'ambassadeur des États-Unis au Canada est une «nomination de patronage» utilisée par les présidents pour récompenser des partisans clés avec un poste de choix qui implique la supervision d'une ambassade dont le personnel fait le gros du travail des relations diplomatiques.
«Rejeter ou ne pas accepter les lettres de créance du prochain ambassadeur des États-Unis reviendrait à priver Donald Trump de cette nomination de patronage de choix qu'il peut accorder à l'un de ses partisans, a assuré M. Greaves. Cela lui coûte quelque chose.»
Mais l'ancien diplomate canadien Colin Robertson a affirmé qu'il s'agissait d'une mauvaise interprétation de l'importance que le président américain accorde à ses propres nominations, compte tenu du scepticisme du président à l'égard de la bureaucratie.
«C'est la seule personne de l'ambassade en laquelle M. Trump a confiance, a souligné M. Robertson, conseiller principal de l'Institut canadien des affaires mondiales. C’est le seul individu qui est un véritable partisan, dont la seule préoccupation est le Canada.»
Colin Robertson a déclaré que Pete Hoekstra est quelqu’un qui vient d’un État frontalier et qui comprend le Canada et – en tant que personne qui relève directement du président – sera probablement le meilleur défenseur du Canada au sein de l’administration.
Il a rappelé que les ambassadeurs américains de diverses allégeances politiques ont transmis les points de vue canadiens à la Maison-Blanche sur des questions aussi diverses que la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et les eaux de ballast dans la voie maritime du Saint-Laurent.
«Ce serait vraiment scier la branche sur laquelle nous sommes assis si nous devions dire: 'Non, nous n’allons pas prendre l’ambassadeur.' C’est tout simplement stupide», a-t-il insisté.
Traiter les États-Unis comme n'importe quel autre pays
Le professeur Will Greaves a déclaré qu’il avait eu l’idée de bloquer l’ambassadeur une fois qu’il est devenu clair que Donald Trump n’allait pas arrêter de parler d’annexion du Canada.
Il a déclaré que la diplomatie existe pour fournir aux pays «un moyen d’augmenter les coûts» des actes hostiles, sans recourir à des réponses économiques ou militaires.
Selon lui, le Canada bloquerait la nomination d'un ambassadeur de tout autre pays qui aurait le même comportement, par exemple si la Russie envoyait un ambassadeur après avoir suggéré que l'Arctique canadien était en fait un territoire russe.
«Nous ne devrions pas laisser le fait que ce soit les États-Unis influencer excessivement ce qui constitue une réaction appropriée dans ces circonstances», a-t-il déclaré.
L'expert ajoute que, si Donald Trump ne change pas de ton, le Canada devrait également envisager sérieusement de l'exclure du sommet des dirigeants du G7, prévu à la mi-juin en Alberta.
«Pourquoi le Canada accueillerait-il, en tant qu'invité d'honneur, sur son sol, le chef d'État d'un pays qui remet en cause publiquement, à plusieurs reprises et directement, notre souveraineté sur le lieu qu'il viendrait visiter?» a-t-il demandé.
Colin Robertson a plutôt soutenu que désinviter M. Trump du sommet serait une «folie», car la présence des États-Unis est l'attraction principale de tout sommet du G7.
De son côté, le professeur de l'Université de Victoria a ajouté que les États-Unis riposteraient probablement si le Canada cherchait à bloquer son ambassadeur, mais il a décrit cela comme faisant partie du «prix» que le Canada devra payer dans la lutte pour sa souveraineté. «C'est le prix de notre indépendance, comme l'a décidé Donald Trump».
Le bureau de la ministre Joly n'a pas répondu à une demande de commentaires, tandis que l'ambassade des États-Unis à Ottawa a refusé de commenter l'idée.
Le refus d'accréditer un envoyé est une réponse réservée aux conflits internationaux graves. Au Canada, c'est encore plus rare que les expulsions de diplomates étrangers.
En 2023, la ministre des Affaires étrangères a déclaré au Parlement qu'Ottawa avait refusé de délivrer un visa diplomatique à «un agent politique» de Chine parce qu'il était profondément lié au Parti communiste chinois.
En 2018, Ottawa a interdit à trois des diplomates proposés par la Russie de servir au Canada et en a expulsé quatre qui étaient déjà accrédités au Canada, en réponse à l'empoisonnement de l'ancien espion russe Sergueï Skripal au Royaume-Uni.
En 1987, Ottawa a refusé d'accréditer l'attaché militaire choisi par Israël, Amos Yaron, à la suite d'informations faisant état d'inquiétudes concernant les attaques de milices contre des civils palestiniens à Beyrouth pendant la guerre du Liban de 1982.
Des informations non confirmées ont été rapportées ces dernières semaines selon lesquelles l'administration Trump pourrait bloquer l'ambassadeur à Washington choisi par le Royaume-Uni, Peter Mandelson, qui est récemment revenu sur ses commentaires antérieurs selon lesquels Donald Trump était «imprudent» et «un tyran».
Dylan Robertson, La Presse Canadienne