La pandémie rend certains nostalgiques de cette période


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Il y a cinq ans déjà que la pandémie de COVID-19 a assailli l’humanité, l’obligeant à se confiner dans l’espoir de contenir ce virus, encore inconnu, mais bel et bien dévastateur. Comme des lions en cage, nous attendions avidement de pouvoir revenir à notre vie d’avant. Cependant, ce n’est pas vrai pour tout le monde. Certains y ont vu une bouffée d’air frais et en éprouvent, depuis, de la nostalgie.
«J’avais l’impression que je savourais chaque minute», confie Judith, qui a préféré utiliser un nom d’emprunt pour garder l’anonymat. Elle fait partie de ceux à qui cette période manque. «J'avais été très active dans les années précédentes, en termes de travail, de voyages, de déménagements (...) et là, ça m'a forcée à faire une pause et à vraiment me concentrer sur le présent, puisqu'on n’avait aucun indice sur ce qui allait se passer.»
La jeune femme explique qu’elle a réalisé «que c'était un moment privilégié et que ça n’allait pas se reproduire». «J'ai trouvé une espèce de confort dans l'incertitude, à me dire ‘moi, ma certitude, c'est que je suis ici maintenant’». À présent qu’elle a retrouvé son rythme de vie habituel, elle regrette que l’on soit «sur-stimulés» par un rythme trop rapide, voire encore plus rapide qu’avant. «On a ralenti le temps pendant la COVID et après la COVID, on a eu l'impression qu'il fallait rattraper ce temps-là», explique-t-elle.
Ce que ressent Judith ne surprend pas Dania Ramirez. La psychologue clinicienne a rencontré de nombreux patients qui ont mal vécu la période de pandémie, mais, une fois la pandémie finie, progressivement, elle a aussi rencontré des patients qui commençaient à regretter cette période et avaient du mal à s’intégrer dans leur nouvelle routine. Ils ont été si nombreux, explique Mme Ramirez, qu’à un certain point, ses confrères et elles ont commencé à parler de «syndrome de stress post-pandémique».
La vie sans le pilote automatique
Elle fait remarquer que l’émergence de la COVID-19 a engendré un changement radical et que, plus le changement est radical, plus c’est déstabilisant. Et ce n’est pas sa consœur Geneviève Beaulieu-Pelletier qui va dire le contraire. Cette psychologue, également professeure associée à l’UQAM, compte aussi plusieurs personnes dans le même cas que Judith parmi ses patients.
«On était beaucoup, pour la plupart, dans un rythme effréné, beaucoup sur le pilote automatique», explique Mme Beaulieu-Pelletier. Puis la pandémie est venue chambouler tout ça. «On n’a pas eu d’autre choix que de s’adapter, note la psychologue. On a dû ralentir, il y a plusieurs activités, plusieurs tâches, plusieurs obligations qu'on ne pouvait plus faire, ce qui fait en sorte qu’on a fait l'expérience d'en avoir moins, d'avoir un rythme plus lent. Donc, on a été forcé de sortir de notre pilote automatique et ça, c'est très rare que ça arrive dans une vie.»
Élément incontournable de cette période, le télétravail joue un rôle important dans le sentiment qu’a éprouvé la population active alors et ce qu’elle éprouve aujourd’hui. Judith raconte que, dans son travail, coincée à la maison, elle s’est habituée à un rythme effréné. Dans son salon, elle pouvait enchaîner les réunions devant son ordinateur et en faire plus qu’avant puisqu’elle n’avait plus de temps de déplacement d’une salle à l'autre, qu’on ne prenait plus en compte les pauses pour aller à la salle de bain, pour manger. «On prend ton temps à la minute près, s’exclame-t-elle, et c’est énorme.»
Comme avant, mais en pire
À présent, elle a l’impression que l’entreprise pour laquelle elle travaille a simplement gardé ce rythme du télétravail une fois les mesures anti-COVID levées, mais tout en faisant revenir ses employés partiellement en présentiel. «Là on est physiquement dans l’usine, tu ne peux pas te téléporter d’un meeting à l’autre, il faut marcher. Et donc tu cours», déplore la jeune femme. «On s’attend à ce que tu produises autant que quand tu étais dans ton salon, sauf que ce n’est pas possible de faire ça.»
Dania Ramirez abonde dans le même sens, mais ajoute que le télétravail forcé a pu laisser une marque indélébile. «Ça a modifié notre perception du travail à long terme et cela a laissé plus de flexibilité pour les gens, en renforçant pour plusieurs des liens familiaux par exemple.»
Durant la pandémie, dit-elle, plusieurs personnes ont trouvé un certain réconfort à être seules à la maison, à être plus calmes, à être plus centrées sur soi, sur leur famille. Le retour sur le lieu de travail, faire à nouveau face aux collègues, retrouver des horaires chargés et une pression sociale intense ont pu en rendre certains anxieux. À plus forte raison pour ceux qui étaient déjà mal à l’aise dans les interactions sociales en face à face.
Judith regrette aussi l’élan de solidarité, de bienveillance qui avait caractérisé la période pandémique. Les gens se soutenaient plus les uns les autres, prenaient des nouvelles, un mouvement de foule qui lui a apporté «énormément de joie».
Notre nostalgique voit son quotidien post-pandémique comme le miroir de ce qu’elle a perdu, la première chose étant du temps pour elle-même. «Ça en dit long sur notre besoin d'équilibre», lance la Dre Ramirez. La psychologue estime que la pandémie a eu le mérite de nous faire remettre en question notre mode de vie. «On peut se questionner sur la pression sociale et professionnelle qu'on se met sur les épaules», mentionne-t-elle.
Selon la clinicienne, la pandémie nous donnait le droit d’être différents, de travailler différemment et de nous remettre en question. Notre rythme de vie actuel, soutient-elle, impose une forte pression, sociale comme individuelle, en raison d’exigences très élevées. «Ça a soulevé aussi le manque de temps pour soi, renchérit Mme Ramirez. Dans le fond, on peut se questionner sur 'est-ce qu’on s'accorde assez de temps pour soi-même, pour notre propre bien-être?'» Sa réponse: il faut revoir nos habitudes de vie, investir sur soi et ralentir la cadence. Mais mieux vaudrait réussir à le faire sans avoir à passer par une nouvelle pandémie.
Caroline Chatelard, La Presse Canadienne