La COVID longue est toujours une énigme qui fait vivre l'enfer à ses victimes


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — «Lorsqu'on a une incertitude financière, qu'on a une incertitude de santé, quand on ne sait pas si demain on va marcher, si demain on va être en vie, si demain on va avoir un toit, si demain on va être capable de s’occuper de ses enfants, si on va être capable de se laver, si au moins on va être capable de manger, ça joue sur le moral.»
Au bout du rouleau après trois ans et demi de COVID longue, Sébastien Verret, âgé de 45 ans, n’en pouvait plus et il a demandé l’aide médicale à mourir l’été dernier.
Son cas, rapporté par La Presse Canadienne le 14 août, avait fait grand bruit, mais lui avait surtout amené une vague de soutien et de témoignages d’autres personnes aux prises avec cette terrible affliction, au point d’abandonner l’idée d’abandonner. Au contraire, il a plutôt fondé dans les semaines suivantes l’Association québécoise de la COVID longue et créé un site web qui regroupe une impressionnante quantité de renseignements sur la maladie, les ressources disponibles et de nombreux outils de soutien.
Une cible insaisissable
Car cinq ans après l’arrivée de la pandémie au Québec, la COVID longue demeure une affliction assez répandue, mais tenace, que l’on a mis du temps à reconnaître, raconte la docteure Emilia Liana Falcone, directrice de la clinique de recherche post-COVID-19 à l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM). «Au début, on parlait de complications post-COVID et ç’a quand même pris du temps avant que ça commence à vraiment arriver sur le radar des gens, que ce soit dans le milieu médical ou dans les nouvelles, de reconnaître vraiment que c'était une entité distincte qui montrait une certaine chronicité, parce que la chronicité, on l'a vue davantage au fil des années.»
Les chercheurs ont alors été confrontés à une multiplicité de facteurs qui rendent cette maladie si difficile à cerner. Il n’y a pas de profil de patient typique, il n’y pas de profil symptomatique typique. Pour ajouter à la complexité, certains patients ont vu des problèmes médicaux préalables s’aggraver et persister après avoir contracté la COVID, mais on ne sait pas si c’est la COVID qui a aggravé la condition préalable ou si c’est la condition préalable qui a entraîné la COVID longue.
Quand le corps s'attaque lui-même
Aussi, comme le virus réussit à s’accrocher dans les vaisseaux sanguins, il circule à travers le corps, incluant les organes, multipliant les atteintes et il arrive que ce soit tout le système immunitaire lui-même qui perde la carte. «Le dérèglement immunologique peut avoir des effets partout dans le corps, explique Emilia Liana Falcone. Le système immunitaire, c'est tellement puissant et si le système immunitaire va dans le sens de l’auto-immunité (NDLR: l’auto-immunité est le résultat d’une réponse exagérée du système immunitaire qui entraîne une attaque par l’organisme de ses propres tissus), l'auto-immunité ensuite peut affecter d'autres organes. Par exemple, si je commence à faire des anticorps contre moi-même et que la protéine ciblée est exprimée dans mon cerveau, mes anticorps peuvent commencer à s'attaquer à une protéine dans mon cerveau et ça peut me donner des symptômes neurologiques.»
Sébastien Verret connaît justement des problèmes de ce genre. Il dit que sa santé est «un peu moins pire que cet automne», mais il n’en demeure pas moins que «c'est un choc post-traumatique de se rendre compte qu'on n'est plus la personne qu'on était». Et cette personne-là, dit-il, lui a été enlevée par la maladie à jamais. «Il y a trop de choses de détruites en moi. On voit qu'il y a une atteinte à la matière grise et cognitivement, après une demi-heure, trois quarts d'heure d'une conversation, je commence à perdre le fil, je commence à chercher mes mots.»
«Je fais de l'arthrose et de l'ostéoporose prématurées», poursuit-il avec une énumération qui comprend une thrombose, une septicémie, un arrêt cardiaque, un scorbut.
Une fatigue débilitante
Mais par-dessus tout, c’est la fatigue oppressante qui l’empêche d’être fonctionnel. «Dès que j’en fais un petit peu plus, je deviens fatigué. Mes enfants me disent que je suis peut-être à 40 %, 45 % de ce que j'étais avant.»
Les médicaments prescrits pour soulager ses symptômes aident, dit-il, mais «il y a certains médicaments qui ont un impact sur le foie et sur les reins. Certains entraînent un risque accru de développer un cancer plus tard. Mais c'est maintenant que je veux vivre».
Or, on est encore loin d’un traitement ciblé, reconnaît la Dre Falcone. «En ce moment on n'a pas un traitement pharmacologique spécifique, une molécule qu’on donnerait à n'importe qui qui a la COVID longue pour traiter. Ce qu'on a, ce sont des approches thérapeutiques pour traiter les symptômes et les complications qui sont hautement associés avec la COVID longue.»
Le cœur qui bat la chamade
Une de ces complications hautement associées est la dysautonomie cardiaque, c’est-à-dire des gens dont la fréquence cardiaque augmente à un niveau super élevé sans faire d’activité sportive, juste en se levant debout, par exemple. «Et ça, ça peut engendrer ce qu'on appelle des malaises post-effort ou une fatigue ultra intense après un effort qui oblige les gens à vraiment prendre une période de récupération pour se remettre de ce malaise. Selon les patients, cette période peut être des heures, des jours parfois même des semaines.»
Mais pour Sébastien Verret, qui se compare à une voiture électrique qui a constamment besoin de recharger ses batteries au moindre effort, il faudrait permettre une véritable récupération aux personnes affligées dès le départ. «Il y a des études qui démontrent que dans les six premiers mois, si les gens en COVID longue avaient de l'aide, beaucoup seraient capables de passer au travers. Six mois de repos complet, à écouter son énergie, à faire une réserve d'énergie, au début. C'est sûr qu'on ne réchapperait pas tout le monde, mais on serait capable de sauver une partie de cette population-là qui serait capable de retourner travailler.»
Un filet qui reste à mettre en place
C’est là que le bât blesse, selon lui. Le travail de son association vient mettre en lumière le manque d’information et le manque de soutien aux personnes atteintes. «Il n’y a pas de capitaine dans le bateau, il n’y a pas de chef d'orchestre», dit-il en décrivant son parcours du combattant d’une institution à l’autre, un éternel recommencement à chaque étape. «Le spécialiste qu'on m’a proposé de voir aux trois mois, ça fait depuis novembre 2023 que j'attends mon rendez-vous.»
Par-dessus tout ça, il n’arrive pas à obtenir de Santé Québec l’aide à domicile dont il aurait besoin et il attend le soutien de la CNESST depuis novembre 2023, bien que l’organisme ne conteste pas son diagnostic. Car, il faut le dire, c’est dans un contexte de travail qu’il a contracté cette COVID qui est devenue longue. Il s’était inscrit à «Je contribue» dans le cadre de l’effort du gouvernement Legault de recruter du personnel dans les institutions de santé et la COVID s’est frayé un chemin dans son corps en décembre 2020 pour s’y installer à long terme.
Alors que la Dre Falcone parle de nouvelles découvertes prometteuses à venir prochainement, Sébastien Verret, lui, dit s’être adapté. «J'ai accepté de vivre, tout simplement, au lieu de vivre dans la colère, au lieu de vivre dans le déni. J'ai refusé cette colère-là et je m'en sers justement pour aider les autres avec l'Association. Je canalise ça pour faire connaître la COVID, essayer de trouver des ressources, à connaître, faire connaître la maladie, s'entraider. Donner un sens à ma souffrance m'a aidé énormément.»
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne