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La Cour fédérale maintient l'abolition d'une circonscription au Québec

durée 14h34
21 février 2025
La Presse Canadienne, 2024
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4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

OTTAWA — L'ultime tentative pour sauver la circonscription d'Avignon–La Mitis–Matane–Matapédia, au Québec, a échoué, vendredi, après qu'un juge de la Cour fédérale a rejeté sur toute la ligne une demande visant à annuler son abolition décrétée dans la foulée du redécoupage électoral.

Dans sa décision, le juge Sébastien Grammond explique que les motifs fournis par la commission indépendante chargée de délimiter les circonscriptions électorales au Québec étaient «raisonnables» et respectaient le point de vue de la Cour suprême.

L'organisme Droits collectifs Québec et l'avocat gaspésien – et désormais candidat du Bloc québécois – Alexis Deschênes plaidaient que la superficie de la nouvelle circonscription de Gaspésie–Les Îles-de-la-Madeleine–Listuguj est trop vaste pour qu'un député remplisse adéquatement ses fonctions et offre des services à ses électeurs.

«La Commission était consciente des enjeux liés à la superficie des circonscriptions dans les régions rurales ou éloignées, mais il était raisonnable de conclure que ces enjeux ne justifiaient plus l’existence d’une circonscription dont la population était inférieure de près de 36 % à la population moyenne des circonscriptions québécoises», écrit le juge Grammond.

Le jugement démonte un à un les arguments présentés et confirme que la parité du pouvoir électoral (une personne, un vote) est «la composante primordiale» des instructions du principe de «représentation effective» élaboré par le plus haut tribunal du pays.

Le juge cite un renvoi de 1991 où la Cour suprême tranche que le système ne doit pas diluer «indument» le vote d'un citoyen comparativement à celui d'un autre, mais que d'autres facteurs peuvent être pris en compte.

Il note également que la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit que la population de chaque circonscription doit s'approcher «dans la mesure du possible» du quotient électoral, l'idée étant d'accorder un poids politique plus ou moins équivalent à chaque circonscription.

La commission s'est accordée une marge de manœuvre de 10 %, mais avait décidé de ne jamais dépasser les 25 % d'écart. Et, selon elle, la loi lui impose de viser «un écart de 0 %».

«Les demandeurs soutiennent que la Commission s’est imposé un critère qui n’est prévu nulle part dans la Loi. Il n’en est rien. (...) Quoi qu’il en soit, la Commission n’a pas traité l’écart-cible maximal de 10 % comme une règle rigide: elle a accepté d’y déroger dans sept cas», envoie le juge.

En ce qui concerne la superficie de la nouvelle circonscription qui serait trop vaste, le juge Grammond revient sur l'idée que la circonscription abolie et celle qui l'englobe désormais avaient «un écart négatif de 30,3 % et de 35,5 %» par rapport au quotient électoral.

«On ne saurait soutenir qu'il s'agit-là d'une population "légèrement inférieure", pour reprendre les mots de la Cour suprême dans le Renvoi concernant la Saskatchewan», écrit-il.

Le juge relate que la députée Diane Lebouthillier a souligné lors des audiences publiques qu'il lui est difficile d'organiser des déplacements entre Ottawa et sa circonscription et qu'elle ne peut pas visiter les Îles-de-la-Madeleine plus de trois ou quatre fois par année. Le demandeur Deschênes aurait mis l'emphase sur le fait que la région consiste en «un chapelet de villages».

Le juge estime que les demandeurs ont «échoué» à démontrer en quoi la commission aurait fait abstraction d'une caractéristique fondamentale qui distingue la Gaspésie des autres régions rurales ou éloignées.

Le juge note au passage que lors de l'audience, qui a eu lieu le 3 février, les demandeurs ont été «incapables de fournir une réponse satisfaisante» quant à ce qui distingue la circonscription proposée de Gaspésie–Les Îles-de-la-Madeleine–Listuguj de celle de Côte-Nord–Kawawachikamach–Uapashke, et que les enjeux de visites fréquentes s'apparentent à ceux d'autres circonscriptions vastes et éloignées.

Dérogation et «communauté d'intérêts»

Parmi les autres arguments avancés, les demandeurs affirmaient que la commission a été déraisonnable en ne maintenant pas l'exception qu'elle avait faite lors du redécoupage précédent, en 2012, sans que la réalité géographique n'ait changé. À l'époque, la commission faisait valoir des «circonstances extraordinaires» pour justifier la dérogation.

«D’ailleurs, la Commission a bien noté que lorsque la circonscription d’Avignon–La Mitis–Matane–Matapédia a bénéficié de la dérogation en 2012, son écart avec le quotient électoral était de 26 % et qu’il s’est depuis lors accru de dix points de pourcentage», peut-on lire.

Le processus de redécoupage électoral est «incompatible» avec le maintien du statu quo et les limites des circonscriptions doivent suivre l'évolution de la population, insiste le juge.

Le juge a estimé «difficiles à suivre» les prétentions voulant que le concept de «communauté d'intérêts» ait mal été pris en compte dans la délimitation des circonscriptions.

Bien que la loi ne définit pas le terme, il s'agirait d'«un groupe de personnes qui partagent les mêmes intérêts et les mêmes valeurs», selon la définition de la commission qui n'est pas contestée par les demandeurs.

Selon le juge, outre les municipalités régionales de comté (MRC), il est difficile de définir les communautés d’intérêts présentes dans les circonscriptions de la région.

«Par exemple, le demandeur Deschênes a soutenu qu’en raison de son histoire et de sa "conscience collective régionale", l’ensemble de la Gaspésie formait une telle communauté d’intérêts. Or, cette communauté d’intérêts se trouve réunie plutôt que séparée par les limites des circonscriptions proposées par la Commission», écrit le juge.

Finalement, le juge condamne les demandeurs à payer 6000 $ au Procureur général du Canada et 2000 $ à Élections Canada afin qu'ils soient remboursés pour leurs frais de justice.

Michel Saba, La Presse Canadienne