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L'arrivée de QUB Radio sur les ondes du 99,5 a entraîné des plaintes au CRTC

durée 15h42
24 septembre 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — L’entrée de Québecor sur les ondes de la radio FM de Montréal ne se fera pas sans opposition.

La Presse Canadienne a appris que le changement de vocation de CJPX-FM, désormais connu sous le vocable 99,5, fait l’objet de plaintes au CRTC, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Depuis le 26 août, le 99,5 diffuse la programmation de QUB radio, une propriété de Québecor qui diffusait jusque-là son contenu radio sur Internet et à la télé.

Le CRTC a déjà interdit à Québecor de s’introduire dans le marché FM de Montréal et ce, plus d’une fois dans le passé, notamment en 2003 lors d’une tentative de Québecor d’acheter CKAC et d’autres stations affiliées. En 2008, l’organisme avait adopté un règlement interdisant à une même entreprise de posséder à la fois des journaux, des stations de télévision et des stations de radio dans un même marché.

Le CRTC confirme

«Nous pouvons confirmer que nous avons reçu des plaintes concernant CJPX-FM Montréal», écrit le CRTC à la suite d’une demande en ce sens de La Presse Canadienne. L’organisme refuse toutefois de préciser le nombre de plaintes reçues, leur nature et l’identité des plaignants, indiquant que de telles plaintes ne sont pas publiques. Nous avons toutefois appris d’une source bien au fait du dossier qui n’est pas autorisée à parler aux médias que le principal concurrent de CJPX, Cogeco, propriétaire du 98,5 FM, n’est pas au nombre des plaignants.

Pour l’instant, le CRTC se fait avare de détails, disant qu’il «examine les questions portées à son attention» et que, si nécessaire, «prend les mesures requises afin d’assurer que les entités réglementées exploitent leurs entreprises (…) conformément aux conditions de service relatives à leurs licences de radiodiffusion». Il rappelle aussi au passage que «le CRTC est un tribunal quasi judiciaire indépendant qui réglemente le secteur des communications au Canada dans l’intérêt public».

Casse-tête inédit

L’arrivée de QUB radio sur les ondes du 99,5 représente toutefois un casse-tête inédit pour le CRTC. Québecor se trouve à entrer dans le marché FM sans avoir acheté la station de radio, réalisant ainsi de manière indirecte ce que le CRTC lui avait interdit de faire de façon directe. La station appartient en effet à Leclerc Communication, qui en a fait l’acquisition en 2020. Leclerc avait alors demandé et obtenu que la licence de ce qui était jusque-là une station de musique classique soit modifiée pour devenir une «formule musicale grand public (Musique adulte alternative – Triple A et Adulte contemporain)».

En vertu de cette licence, le 99,5 est dans l’obligation de diffuser une majorité d’heures de musique vocale francophone durant la semaine, la semaine étant calculée, selon les règles du CRTC, de 6h à minuit du dimanche au samedi.

Puisque la radio parlée de QUB n’est diffusée que de 6h à 18h cinq jours sur sept, le 99,5 respecte intégralement ses conditions de licence, affirme son directeur général et directeur de la programmation, Benoît Simard: «C'est la raison pour laquelle on continue de diffuser de la musique après 18h en semaine et toute la fin de semaine. Ça nous assure de respecter cette licence qui était, à la base, de musique vocale francophone. Donc on respecte totalement la licence du CRTC en ce moment.»

Qui contrôle la programmation?

Sur quelle base, à ce moment, pourrait-il y avoir des plaintes? Sur la base de subtilités juridiques, selon Me Pierre Trudel, professeur spécialisé en droit des médias à l’Université de Montréal: «Lorsque l'entreprise a une licence, elle est censée avoir le contrôle de sa programmation, c'est-à-dire qu'elle ne peut pas déléguer le contrôle à quelqu'un d'autre. Autrement dit, si j'ai une licence je ne peux pas dire : toi, occupe-toi de faire la programmation et tu contrôleras tout.»

C’est sur cette question du contrôle du produit que le débat se corse. Benoît Simard soutient de son côté que Leclerc n’a cédé aucun contrôle : «Nous, on garde le contrôle sur notre programmation. Le fait que Mario Dumont (le nouvel animateur du matin au 99,5) soit sur la case du matin, c'est notre démarche, c'est notre demande, c'est notre proposition de grille en grande partie.»

Identifier le lien hiérarchique

Or, selon Pierre Trudel, cette notion de contrôle, sur le plan juridique, va bien au-delà de la définition qu’en fait M. Simard: «Parmi les questions que pourrait poser le CRTC pour mettre en doute l'affirmation de Leclerc à l'effet qu'il contrôle pleinement la programmation, il y a celle de la hiérarchisation. Contrôler la programmation, ça veut dire effectivement avoir un pouvoir hiérarchique sur l'animateur», explique le juriste.

«Si un animateur déraille en ondes, ça prend quelqu'un quelque part dans la direction capable de le ramener à l'ordre. Est-ce qu’ils ont ce pouvoir-là? Est-ce qu'il existe un tel lien de subordination entre les individus, les animateurs et l'entreprise Leclerc où est-ce que ce lien de subordination a lieu avec et existe entre QUB et les animateurs et animatrices? Voilà une question qui se pose», avance Pierre Trudel.

Le patron, c'est QUB

Or, lorsqu’interrogé de manière plus pointue sur cette question, Benoît Simard ne s’en cache pas: «Le patron de Mario Dumont, Isabelle Maréchal, et de tout ça, ça demeure les gens de QUB et de Québecor. Nous, on a approché les gens de QUB pour acheter leur contenu qu'on diffuse sur nos ondes entre 6 et 18 h en semaine.»

Pourrait-il intervenir directement auprès d’un animateur ou d’une animatrice en cas de problème? «Non, on passe par QUB. Ça demeure un employé de QUB.» Il apparaît d’ailleurs évident que Leclerc n’aurait pas les moyens, de toute façon, de payer les salaires d’une telle brochette d’animateurs et animatrices vedettes. L’entente commerciale entre Leclerc et QUB prévoit que Leclerc paye pour le contenu de QUB et récolte les revenus publicitaires sans partage. Québecor, de son côté, bénéficie de la mise en valeur de son produit sur les ondes FM, comme il le souhaitait depuis fort longtemps.

«Sortir (le CRTC) de son coma»

Le CRTC interviendra-t-il ? Pierre Trudel en doute fort: «Le CRTC, depuis une quinzaine d'années, se traîne les pieds sur à peu près tout. Alors forcément, il est peut-être un peu mal placé, maintenant, pour se mettre à sortir de son coma.»

«Ils ont pratiqué une politique de désengagement au cours des dernières décennies et on voit ce que ça donne là (…) et à partir du moment où ils ont décidé de ne pas réglementer des activités comme celles qui ont lieu sur Internet, c'est un petit peu difficile d'être trop regardant sur ce qui se passe sur la bande FM, je pense», conclut le juriste.

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne