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Des personnes trans américaines en quête d'exil au Canada

durée 10h00
29 mars 2025
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

6 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — Des personnes transgenres américaines ou leurs parents cherchent par tous les moyens à quitter leur pays pour leur sécurité, avec le Canada comme premier choix et le désir d'y demander l'asile.

Les restrictions de l'accès aux soins d'affirmation de genre, l'exclusion des personnes trans de l’armée et la reconnaissance d'uniquement deux genres ont posé le ton de l'administration Trump à l'égard des minorités sexuelles et de genre. Cette dernière a ainsi étendu les lois ciblant les personnes transgenres et non binaires à l'échelle du pays.

Selon des défenseurs des droits de la communauté LBGTQ, cette répression pourrait désormais les qualifier pour demander l'asile au Canada, chose qui leur était alors impossible auparavant.

L'organisme américain Rainbow Relocation, qui aide les personnes 2ELGBTQ+ américaines à s'installer à l'étranger, a vu son nombre de clients passer de 700 à plus de 4200 depuis l'élection de Donald Trump, en novembre.

La fondatrice de Rainbow Relocation, Jessica Drucker, affirme que la grande majorité de ses clients considère le Canada comme terre d'exil. Selon elle, toutes ces personnes ne se sentent «pas du tout en sécurité et (estiment) que, de toute évidence, leur identité a été effacée».

«Jusqu'à ce que Trump indique officiellement qu'il n'y a que deux sexes, il était plus difficile de prouver ce type de persécution et d'obtenir cette approbation, pour rester au Canada, explique Mme Drucker. Maintenant que cela a été décrété et que l'identité trans a été essentiellement effacée, cela augmente les chances de prouver une forme évidente de persécution.»

Une famille apeurée

Veronica Sellman est le pseudonyme d'une résidante de Charlotte en Caroline du Nord. Mère d'une fille transgenre de 8 ans, elle a accepté de se confier à La Presse Canadienne sous une autre identité afin d'assurer la sécurité de sa famille.

Elle se souvient du sentiment d'effroi qui l'a traversée le soir des élections. S'en est suivi la signature des nombreux décrets par Donald Trump — notamment ceux interdisant l'accès aux soins d'affirmation de genre aux personnes âgées de moins de 19 ans —, qui furent «le point de bascule» pour l'avenir de sa famille.

«Je me suis dit: 'Ok, nous devons partir d'ici le plus vite possible', explique la mère de famille. J'ai peur, parce que le ton général de tout le monde est devenu très négatif quand il s'agit des personnes trans et je m'inquiète pour elle.»

Sa fille a fait sa transition sociale — en changeant publiquement son expression de genre, ses pronoms et son nom — à l'âge de 5 ans, mais ne prend aucun médicament et n'a, pour le moment, pas besoin de soins de santé pour une éventuelle transition médicale.

«Très probablement dans les deux ou trois prochaines années, elle aura besoin d’accéder à ces soins de santé (...) nous devons donc aller ailleurs, pour y avoir accès, explique Mme Sellman. Je ne sais pas si elle fera une transition médicale, mais je veux qu'elle ait le choix.»

La Caroline du Nord a interdit en 2023 les soins d'affirmation de genre – y compris les bloqueurs de puberté et l’hormonothérapie – pour les mineurs trans. Sa fille était alors suivie dans une clinique spécialisée située en Virginie, mais, en raison des décrets du président, elle a dû cesser de fournir ce type de services.

«Je veux avoir des médecins et des gens pour nous aider à déterminer ce qui sera la meilleure chose pour elle», ajoute-t-elle.

Veronica Sellman raconte comment la jeune fille trans d'une de ses amies est désormais interdite de nager dans l'équipe de natation féminine de leur ville, car le conseil de l'équipe de natation l'oblige désormais à nager au sein de l'équipe masculine.

S'exiler au Canada par tous les moyens

Face à un climat de plus en plus hostile aux États-Unis, pour Veronica et son mari — un ancien marine qui a servi pendant 20 ans, notamment en Irak — l'option la plus évidente est de partir au Canada afin de pouvoir garder leur emploi en télétravail.

«Dès que nous avons appris que Donald Trump avait été élu, nous avons commencé à chercher des options. C'est vraiment cette semaine-là que nous avons parlé à un avocat spécialisé en immigration du Canada, raconte la mère de famille. Nous recherchons une option qui nous y mènera l'année prochaine.»

Elle a donc postulé pour une maîtrise à l'Université de Colombie-Britannique à Vancouver afin de donner deux années de répits à sa famille en attendant de voir l'évolution de la situation dans leur pays d'origine. Si cette dernière était vouée à s'empirer, elle affirme qu'ils n'hésiteront pas à demander l'asile au Canada.

«Si nous devons demander l'asile au Canada, et c'est le chemin le plus facile pour nous, nous l'envisagerions certainement, explique-t-elle. Le Canada était en tête de liste pour nous, parce que nous pourrions garder nos emplois, nous serions toujours proches.»

Le choix de devenir demandeurs d'asile au Canada reste une décision crève-cœur pour cette famille qui n'aurait jamais imaginé se retrouver dans cette situation.

«(Mon mari) a combattu dans des guerres pour les États-Unis et maintenant, de penser que notre famille pourrait demander l'asile dans un autre pays est tout simplement fou. (...) Je n'aurais jamais pensé que nous envisagerions de le faire, ajoute Mme Sellman. En tant que parent, je pense que chacun d'entre nous ferait ce qu'il doit faire pour assurer la sécurité de ses enfants.»

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a expliqué à La Presse Canadienne que les citoyens américains «peuvent demander l'asile à n'importe quel point d'entrée ou depuis le Canada».

«Les demandeurs d'asile doivent prouver qu'ils craignent réellement d'être persécutés ou de subir des préjudices graves, tels que la torture ou des traitements cruels, dans leur pays d'origine ou dans le pays où ils vivent habituellement», a-t-elle ajouté.

Selon l'avocate en droit des réfugiés et coprésidente de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration (AQAADI), Stéphanie Valois, il est nécessaire que les demandeurs d'asile puissent prouver une violation de leurs droits fondamentaux.

«Il faut vraiment que la preuve soit très solide, pour qu'on puisse expliquer tous les éléments de discrimination, ajoute Me Valois. Il faut que ces éléments soient assez généralisés dans le sens où la personne peut avoir des difficultés à trouver un emploi, trouver un logement, trouver des soins de santé.»

Le désir de l'administration Trump d'interdire à l'échelle fédérale l'accès aux soins d'affirmation de genre pour les mineurs transgenres «pourrait toucher à un droit fondamental» et représenterait un «argument extrêmement intéressant» dans un dossier de demande d'asile, ajoute l'avocate.

«Il faudrait démontrer que la personne a besoin de ces traitements, que ça touche son intégrité physique et personnelle et qu'elle ne pourrait pas avoir ces traitements ailleurs aux États-Unis, explique Me Valois. La situation évolue rapidement aux États-Unis et il faudra rester vigilant.»

Elle souligne que «la discrimination peut équivaloir à la persécution», mais que «la preuve doit être solide». Me Valois explique que l'évaluation de chaque dossier demeure du cas par cas et qu'il est difficile de généraliser la question de la demande d'asile à l'ensemble des personnes trans aux États-Unis.

Appel à l'action du Canada

Pour la directrice générale de l'organisme de défense des droits des personnes 2ELGBTQ+, Queer Momentum, Fae Johnstone, il est «essentiel que le Canada prenne les devants» face à la situation des minorités sexuelles et de genre aux États-Unis.

«Compte tenu non seulement de ce nouveau décret (affirmant l'existence de seulement deux genres), mais aussi d'une série de restrictions sur les droits et libertés des personnes trans, il s'agit d'un moment idéal pour le Canada d'intervenir sur la scène internationale compte tenu de notre longue histoire de leadership sur les questions 2ELGBTQ+», fait-elle valoir.

Mme Johnstone exhorte le Canada à créer des voies claires et accessibles pour les réfugiés transgenres ainsi qu'une mise à jour des directives de voyages pour les Canadiens transgenres qui se rendraient aux États-Unis.

Depuis août 2023, Affaires mondiales Canada avertit les personnes issues des communautés 2ELGBTQ+ qu'elles pourraient être victimes de discrimination si elles prévoyaient voyager dans certains États américains. Il leur est ainsi conseillé de vérifier les lois des États concernés, car certains d'entre eux «ont adopté des lois et des politiques qui pourraient affecter les personnes 2ELGBTQI+».

Quentin Dufranne, La Presse Canadienne