Des experts plaident pour des bandelettes de dépistage de drogues à domicile


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Par La Presse Canadienne, 2024
SAINT-JEAN — Des Canadiens meurent seuls à cause de drogues toxiques, et des experts estiment qu'un accès plus facile aux bandelettes de dépistage de drogues à domicile pourrait contribuer à prévenir ces décès. Ils mettent toutefois en garde contre les limites de ces bandelettes.
Le Dr Nash Denic, médecin légiste en chef de Terre-Neuve-et-Labrador, affirme que, même si les bandelettes ne sont pas parfaites, elles peuvent être utiles pour détecter la présence de certaines toxines. Il aimerait voir un projet pilote mené par le gouvernement pour distribuer les bandelettes avec des trousses de naloxone, qui inversent les effets des surdoses d'opioïdes.
«Il est possible de réduire les méfaits. Surtout si vous êtes novice et que vous essayez un autre type de drogue, il est préférable de la tester d'abord», a déclaré le Dr Denic en entrevue, ajoutant que, si elles sont utilisées correctement, les bandelettes de dépistage «peuvent vous sauver la vie».
Le Dr Alexander Caudarella, directeur général du Centre canadien sur les dépendances et l'usage de substances, voit également un avantage à rendre les bandelettes de dépistage plus accessibles aux citoyens à la maison.
«Nous savons que la plupart des gens dans ce pays ne meurent pas dans la rue, mais derrière des portes closes, dans leur propre appartement ou maison», a indiqué le Dr Caudarella, en entrevue.
Les bandelettes peuvent s'inscrire dans une stratégie plus large de sécurité, qui inclut notamment de ne pas consommer de drogues seul, a-t-il ajouté.
Il y a toutefois des mises en garde. Les tests doivent être utilisés correctement et ils ne diront pas la quantité de contaminants, mais seulement leur présence. Le nombre de toxines qu'ils peuvent détecter est limité. Les bandelettes de test pour le fentanyl, par exemple, ne détectent pas les nouveaux opioïdes, a précisé le Dr Caudarella.
«Cela ne permettra pas de savoir exactement ce que contiennent les drogues, mais nous pensons que ces outils peuvent être très importants pour aider les gens à comprendre le degré de contamination des drogues qu'ils achètent», a-t-il ajouté.
Cela est particulièrement important pour les personnes qui pensent que leurs drogues sont sûres parce qu'elles les ont achetées sur un site web ou auprès d'une personne de confiance, a-t-il précisé.
Des bandelettes fabriquées en Ontario
Les tests à réponse rapide du fabricant BTNX comptent parmi les bandelettes de test les plus utilisées au Canada. L'entreprise ontarienne propose des bandelettes pour détecter des contaminants tels que le fentanyl, la xylazine, les benzodiazépines et le nitazène. Le site web de l'entreprise indique clairement que les bandelettes ne testent pas la pureté ou l'innocuité des drogues: elles peuvent seulement indiquer la présence du contaminant ciblé.
Les bandelettes peuvent être achetées en ligne au Canada, ou être obtenues dans des centres de consommation supervisée ou auprès d'autres services de réduction des méfaits. Elles doivent être placées dans une petite quantité de drogue dissoute dans l'eau. Une ligne apparaît sur la bandelette pour indiquer la présence de contaminants.
Pour ceux qui ont besoin des bandelettes immédiatement et qui n'utilisent pas ou n'ont pas accès aux services de réduction des méfaits, les options sont limitées. BTNX travaille toujours à les proposer à la vente dans les grandes chaînes de vente au détail, a déclaré Molly McKay, porte-parole de l'entreprise.
La compagnie est également consciente que les bandelettes de test peuvent ne pas détecter des contaminants toxiques. «Nous travaillons continuellement avec nos chercheurs indépendants pour identifier ces zones d'ombre, puis nous apportons les corrections nécessaires», a dit Mme McKay, en entrevue.
D'autres tests plus efficaces
Deux adolescents sont décédés cette année à Terre-Neuve-et-Labrador après avoir pris des comprimés contaminés par du nitazène, un puissant opioïde synthétique, et du bromazolam, un benzodiazépine qui peut être mortel lorsqu'il est pris avec des opioïdes, a déclaré le Dr Denic.
La xylazine, un sédatif vétérinaire, est un contaminant courant de la cocaïne. Et les décès liés au fentanyl dans la province ne montrent aucun signe de ralentissement, bien qu'ils aient récemment été dépassés par la cocaïne.
Les bandelettes de dépistage pourraient aider à se protéger de certaines de ces toxines, a affirmé le Dr Denic. Un résultat positif pourrait convaincre une personne de ne pas consommer cette drogue ou d'en consommer beaucoup moins.
Ian Culbert, directeur général de l'Association canadienne de santé publique, a déclaré qu'idéalement, il serait plus facile pour les gens de faire vérifier leurs drogues à l'aide d'équipements plus perfectionnés, comme les tests disponibles dans certains centres de consommation sécuritaire au pays. Leurs résultats sont plus précis et permettent de suivre la présence de contaminants dans l'approvisionnement local en drogue.
«Dans la plupart des régions du pays, on peut se rendre dans n'importe quelle pharmacie communautaire et demander une trousse de naloxone à emporter. C'est à ce point que des tests de dépistage de drogues bien conçus devraient être accessibles», a affirmé M. Culbert.
Les bandelettes de test à emporter sont toutefois «mieux que rien», a-t-il ajouté.
Certains croient à tort que l'élargissement des services de dépistage de drogues encouragera à terme une consommation accrue de drogues, a dit M. Culbert. Il craint que ces idées dissuadent les autorités de simplifier le dépistage et les tests de drogues.
«Il existe un continuum d'interventions de santé publique qui peuvent toutes contribuer à réduire le nombre de décès liés à la crise des drogues toxiques. Le dépistage de drogues en fait partie», a soutenu M. Culbert.
«Nous devons investir dans tous les domaines, et non pas simplement choisir idéologiquement ceux qui correspondent au programme du gouvernement en place.»
Sarah Smellie, La Presse Canadienne