Des Canadiens d'origine chinoise se souviennent de la pandémie de COVID-19
Temps de lecture :
5 minutes
Par La Presse Canadienne, 2024
VANCOUVER — Près de cinq ans après le début officiel de la pandémie de COVID-19, les Canadiens d'origine chinoise se rappellent que leurs premières précautions ont été accueillies avec confusion, moquerie et hostilité.
Leurs mesures, notamment le port du masque et l'évitement des foules, finiront toutefois par être acceptées comme des stratégies clés.
Au début de 2020, Lili Wu était déjà «armée jusqu’aux dents» lorsqu’elle se rendait dans des lieux publics près de chez elle à Port Coquitlam, en Colombie-Britannique, munie d'un masque, de désinfectant, de lunettes de protection et de gants.
Plus d’un mois s’est écoulé avant que l’Organisation mondiale de la santé ne déclare une pandémie mondiale en mars, ce qui a permis à la plupart des autres Canadiens de se familiariser avec des concepts comme le port du masque et la distanciation sociale.
Toutefois, pour Mme Wu et de nombreux autres membres des communautés chinoises du Canada, l’épidémie qui éclatait à Wuhan, en Chine, ne semblait pas être un problème lointain au début du Nouvel An lunaire.
«Lorsque j’ai appris les horribles nouvelles liées à la COVID-19 en Chine, j’ai demandé à mes deux enfants de regarder avec moi pour avoir une idée de ce qui se passait là-bas», a raconté Mme Wu.
«Ensuite, nous avons pris des mesures de protection ensemble… J’ai fait partie du premier groupe de personnes au Canada à porter des masques», a-t-elle ajouté.
La Dre Susan Poutanen, microbiologiste médicale et spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital Mount Sinai et au University Health Network de Toronto, a indiqué que «nous avons beaucoup appris» lors de la pandémie.
«Avant le début de la pandémie, nous n'utilisions pas le port du masque autant qu'aujourd'hui, et je pense que nous avons beaucoup appris sur la capacité de ce moyen à aider, et nous avons beaucoup appris sur le rôle des personnes symptomatiques, mais aussi sur les personnes asymptomatiques et sur le potentiel de propagation asymptomatique», a détaillé la Dre Poutanen.
Kim Hsieh, une productrice de musique vivant à Coquitlam, se souvient d'avoir emmené son fils en bas âge avec un masque à l'épicerie avant que le port du masque ne soit obligatoire en Colombie-Britannique.
La réaction d'une autre cliente est restée gravée dans sa mémoire.
«Elle est passée devant moi et m'a dit: "Je n'arrive pas à croire que tu laisses de jeunes enfants porter un masque. À quel point es-tu un parent horrible?"»
«Elle me l'a dit en face», se souvient Mme Hsieh. «À ce moment-là, j'ai voulu lui crier: "Occupe-toi de tes affaires". Mais je ne l'ai pas fait. Je suis simplement partie poliment et j'ai déversé ma colère sur mon profil Facebook.»
Une hausse de l'animosité
De nombreux restaurants chinois de la région métropolitaine de Vancouver ont signalé une forte baisse de leurs activités, alors que les membres de la communauté chinoise se sont retranchés en janvier 2020 autour du Nouvel An lunaire, lorsque les restaurants sont traditionnellement remplis au maximum de leur capacité. Le Nouvel An lunaire a lieu cette semaine, mercredi.
Certaines festivités du Nouvel An dans le Lower Mainland de la Colombie-Britannique ont été annulées en 2020, tandis que d'autres ont été réduites ou ont attiré peu de monde. Les célébrations avaient déjà été annulées dans toute la Chine.
Les responsables des trois niveaux de gouvernement canadien ont réagi en février en essayant d'encourager les gens à sortir et à socialiser dans les restaurants chinois de la Colombie-Britannique, et ont suggéré que les sièges vides étaient dus à la désinformation sur la COVID-19 qui avait stigmatisé les établissements.
Steele Zhang, un résident de Surrey, a décrit certaines des réactions au Canada comme «bizarres» et il a dit qu'il ne comprenait pas pourquoi peu de personnes en dehors de la communauté chinoise semblaient prendre au sérieux la menace du virus.
«Les regards que nous avons reçus n'étaient pas simplement comme si nous étions bizarres, a affirmé M. Zhang. Nous avons également ressenti une certaine animosité derrière ces regards, car on croyait que le virus venait de Chine et que nous venions de là-bas, donc il y avait certainement de la tension.»
Les statistiques de la police de Vancouver montrent que les incidents de crimes haineux ciblant les personnes d'Asie de l'Est ont augmenté de plus de 700 % en 2020, passant de 12 à 98 cas.
Henry Yu, professeur d'histoire à l'Université de la Colombie-Britannique, a déclaré que cette hausse ne l'avait pas surpris.
«Au cours de cette période de la COVID, ce qui a commencé au cours de ces quatre premiers mois est en fait assez ciblé», a indiqué M. Yu. «"La menace, ce sont les gens de Chine". Cela faisait déjà partie du discours général en 2019 en ce qui concerne les prix des logements (et) les acheteurs étrangers.»
«C'était donc la réaction initiale, même si les Chinois ont été les premiers à vraiment être conscients, en particulier ceux qui avaient des liens avec Hong Kong, de porter un masque et d'éviter de se rendre dans des endroits bondés.»
Des mesures de la communauté chinoise qui ont fonctionné
Une fois la pandémie officiellement déclarée, des données ont fini par émerger, suggérant que la prudence dans les communautés chinoises avait donné des résultats, notamment dans la communauté de Richmond, en Colombie-Britannique, dans le Grand Vancouver.
La population de la ville est à 54 % d'origine chinoise, selon le recensement de 2021, ce qui en fait la ville avec la plus grande communauté chinoise d'Amérique du Nord.
Plus de deux ans après le début de la pandémie, le rapport sur la répartition des cas de COVID-19 en Colombie-Britannique en juillet 2022 a montré que la ville avait un taux d'infection de loin le plus bas du Lower Mainland, et moins de la moitié de celui de la ville voisine de Surrey. Sur une carte de chaleur des infections à code de couleur de l'époque, Richmond se distingue comme une île pâle, entourée de municipalités voisines plus fortement infectées.
Les responsables de la santé au Canada ont initialement recommandé de ne pas utiliser de masque pour les personnes en bonne santé et asymptomatiques. Cela allait à l'encontre de ce que disaient les responsables de la santé en Chine et à Hong Kong.
«Au départ, l'idée était de porter un masque (pour les personnes symptomatiques), mais le port du masque général n'était pas nécessaire», a précisé la Dre Poutanen, à propos de la réponse canadienne.
«C'était en partie parce que l'idée était que la propagation symptomatique était principalement le mode de transmission du virus, mais cela a changé. Je pense certainement qu'il ne fait aucun doute que le port du masque, l'obligation du port du masque et la connaissance de ce que le port du masque peut faire aujourd'hui, sont l'une des mesures de contrôle des infections que nous continuons d'utiliser et qui sont efficaces.»
Chuck Chiang et Nono Shen, La Presse Canadienne