Démence: le cerveau contient une cuillerée de microplastiques


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Le cerveau humain contient en moyenne une cuillerée de microplastiques et de nanoplastiques, et on ne peut pas exclure que cela ait un lien avec l'explosion des cas de démence, prévient une nouvelle étude américaine.
Cette quantité est de trois à cinq fois plus élevée chez les individus qui ont reçu un diagnostic de démence. Pire encore, on retrouve de sept à trente fois plus de microplastiques et de nanoplastiques dans le cerveau que dans n'importe quel autre organe.
La quantité de particules retrouvée dans le cerveau du patient n'était pas associée à l'âge au moment de son décès, à son sexe, à sa race ou à sa cause de décès. Ces particules étaient particulièrement infimes, mesurant moins de 200 nanomètres.
Les chercheurs ne comprennent pas pourquoi on retrouve une si grande concentration de microplastiques et de nanoplastiques dans le cerveau, ni pourquoi le cerveau semble attirer principalement des particules composées de polyéthylène.
«Ces résultats soulignent la nécessité de mieux comprendre les voies d'exposition, les voies d'absorption et d'élimination et les conséquences potentielles pour la santé des plastiques dans les tissus humains, en particulier dans le cerveau», résument les auteurs.
On a constaté une hausse alarmante de 50 % des concentrations de microplastiques et de nanoplastiques dans le cerveau entre 2016 et 2024, a souligné le docteur Nicholas Fabiano, ce qui correspond à l'explosion exponentielle de la quantité de particules de plastique dans l'environnement.
«C'est stupéfiant de retrouver ça aussi dans le corps des patients», a dit le docteur Fabiano, à qui on a demandé de diriger la rédaction d'un commentaire de l'étude américaine.
Il se réjouit toutefois du manque de corrélation entre l'âge et l'accumulation de microplastiques, ce qui laisse supposer que l'organisme dispose de mécanismes pour les éliminer, a-t-il dit.
En revanche, poursuit le docteur Fabiano, «on peut logiquement supposer que s'il y a des quantités importantes de plastique dans le cerveau, que cela aura des implications pour la santé mentale».
«Je pense que cette étude est très importante parce qu'elle ne se contente pas de suivre l'évolution du plastique dans le cerveau et dans divers organes, mais qu'elle commence à la relier à des applications potentielles en matière de santé mentale», a-t-il indiqué.
Les particules de micro et de nanoplastiques proviennent de la dégradation d’articles de plastique plus gros. La taille des microplastiques va d’un micromètre (soit un millionième de mètre) à environ cinq millimètres. On mesure la taille des nanoplastiques en milliardièmes de mètre. En guise de comparaison, la circonférence d’un cheveu humain est d’environ 70 micromètres.
Les particules de nanoplastiques sont tellement infimes qu’elles peuvent entrer dans la circulation sanguine (par exemple, en franchissant la barrière intestinale) et se rendre directement aux organes.
L’impact sur la santé humaine de ces particules est encore mal compris, mais elles interfèrent possiblement avec le fonctionnement de certains organes (dont le cerveau) et avec celui du système reproducteur. Elles pourraient aussi avoir des propriétés cancérogènes, être une source de stress oxydatif et imiter l’action de certaines hormones (ce qu’on appelle des perturbateurs endocriniens). D’autres études les impliquent dans des maladies inflammatoires de l’intestin.
On sait aussi que les microplastiques peuvent causer de l’inflammation, ce qui aura comme effet «d’ouvrir» des barrières cellulaires qui resteraient autrement fermées ― des barrières comme la barrière hémato-encéphalique sensée protéger le cerveau des indésirables.
Des études ont aussi montré que plusieurs autres molécules peuvent se lier aux plastiques, comme des polluants, des pesticides, des hydrocarbures ou des métaux, puis être transportés par les microplastiques vers certains organes.
Les microplastiques permettent essentiellement à ces substances de contourner les systèmes de défense de l’organisme pour en infiltrer les moindres racoins.
Il est toutefois possible de s'en protéger, du moins partiellement, prévient le docteur Fabiano.
Par exemple, le simple fait de délaisser l'eau embouteillée pour l'eau du robinet pourrait voir notre ingestion de microplastiques passer de 90 000 particules par année à 4000 particules par année, a-t-il souligné.
L'eau embouteillée peut, à elle seule, représenter une exposition annuelle aux particules de microplastiques équivalente à l'exposition générée par toutes les autres sources combinées.
Il recommande aussi d'abandonner les contenants de plastique au profit des contenants d'acier ou de verre pour entreposer et/ou réchauffer la nourriture.
Les aliments ultra-transformés peuvent aussi être une source importante, et souvent insoupçonnée, d'exposition aux microplastiques et aux nanoplastiques, rappelle le docteur Fabiano.
«Par exemple, si on compare des pépites de poulet à des poitrines de poulet, les pépites contiennent trente fois plus de microplastiques, a-t-il dit. C'est une différence considérable.»
L'alcool, les fruits de mer et les pochettes de thé peuvent aussi être une source d'exposition à ces particules, a-t-il ajouté. À un autre niveau, l'utilisation d'un filtre à air de haute intensité pourrait aider à éliminer les particules en suspension, a souligné le docteur Fabiano.
Ce qui nous ramène à des répercussions potentielles sur la santé mentale, a-t-il conclu, à un moment où on constate en parallèle une montée fulgurante de la consommation d'aliments ultra-transformés et une explosion des cas de troubles de santé mentale comme l'anxiété et la dépression.
«Il n'y a pas de recherche qui permette de faire le lien entre ces deux choses du point de vue des microplastiques, mais il y a des recherches qui permettent de faire le lien du point de vue des aliments ultra-transformés, a-t-il rappelé. Une exposition importante aux microplastiques pourrait se faire par les aliments ultra-transformés.(...) Ce que nous mettons dans notre corps n'affecte pas seulement notre santé physique, mais aussi notre santé mentale.»
Les conclusions de cette étude ont été publiées par la revue Nature Medicine. Le commentaire du docteur Fabiano et de ses collègues se retrouve dans le journal médical Brain Medicine.
Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne