Alcool au volant: une quatrième coroner recommande d'abaisser la limite légale à 0,05


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Bernard D’Aragon, un motocycliste de 64 ans tué en juin 2020 par un automobiliste avec les facultés affaiblies, serait probablement encore vivant si le Québec avait adopté, comme l’ensemble des autres provinces canadiennes, des sanctions administratives pour les automobilistes qui conduisent avec un taux d’alcool dans le sang qui se situe entre 0,05 et 0,08.
C’est le constat auquel en vient la coroner Geneviève Thériault à l’issue de son enquête sur le décès du sexagénaire dans un rapport qui ne pouvait être rendu public avant ce mardi en raison de procédures judiciaires en cours.
Il s’agissait, ce 4 juin 2020, de la première sortie de l’année pour Bernard D’Aragon, un motocycliste expérimenté qui avait sorti sa BMW Touring K1600 sur la route 148, à Lochaber en Outaouais, alors que les mesures de confinement commençaient à être partiellement levées. Il n’avait toutefois pas réussi à éviter le lourd Jeep Wrangler qui s’était présenté dans sa voie en sens inverse, au sortir d’une légère courbe un peu avant 10h00. Les deux véhicules roulaient à environ 90 km/h lorsqu'ils se sont percutés de front.
Intercepté, mais laissé sur la route
Or, le conducteur du VUS fautif avait été intercepté environ une heure plus tôt par un patrouilleur de la Sûreté du Québec à la suite d’un appel rapportant sa conduite erratique sur l’autoroute 50 près de Grenville. Le policier avait remarqué une odeur d’alcool sur son haleine et lui avait fait passer un alcootest dont le résultat indiquait un taux situé quelque part dans la fourchette de 50 mg/100 ml (0,05) à 99 mg/100 ml (0,099).
«Puisque le résultat du test ne permettait pas de confirmer que le seuil légal pour la conduite d’un véhicule à moteur fixé à moins de 80 mg/100 ml était dépassé, les patrouilleurs ont informé le conducteur qu’il pouvait se trouver au-dessus de la limite permise et que s’il était impliqué dans un accident il pouvait être accusé de conduite avec les facultés affaiblies», écrit la coroner Thériault. Les patrouilleurs lui avaient alors fortement suggéré d’appeler un ami ou de s’arrêter dans un restaurant, mais l’analyse du GPS du véhicule démontre qu’il ne s’était jamais arrêté.
Moins d’une heure plus tard, au sortir d’une légère courbe vers la droite, le Jeep était déporté dans la voie en sens inverse sans que les reconstitutionnistes ne trouvent de tentative de freinage ou de braquage pour corriger sa direction et provoquait le face-à-face avec M. D’Aragon, qui est décédé sur le coup.
Le véhicule aurait pu être saisi
La conclusion de la coroner Thériault est sans appel: «Si des sanctions administratives comparables à celles existant ailleurs au pays avaient été en vigueur au Québec en 2020, les policiers auraient pu procéder à la suspension immédiate du permis de conduire et à la saisie du véhicule lors de l’interception, ce qui aurait permis d’éviter l’accident.»
Me Thériault rappelle que «le Québec est désormais isolé sur la question des sanctions administratives car il semble que tous les provinces et territoires du Canada ont adopté de telles sanctions afin de réduire le nombre de décès et d’accidents liés à la conduite avec les facultés affaiblies».
Elle recommande donc à la Société de l’assurance-automobile du Québec qu’elle fasse «les démarches nécessaires pour que soit modifié le Code de la sécurité routière afin que des sanctions administratives immédiates soient imposées aux conducteurs présentant une alcoolémie d’au moins 50 mg/100 ml» et au ministère des Transports d’appuyer cette démarche de la SAAQ.
Les coroners ignorés 4 fois
C’est la quatrième fois en moins de deux ans que ce genre de recommandation est faite par des coroners, Geneviève Thériault ayant elle-même déjà invité dans un rapport de juillet 2024 les autorités gouvernementales à réduire le taux légal d’alcoolémie de 0,08 à 0,05 en proposant d’instaurer des sanctions administratives – donc non criminelles – aux automobilistes pris avec un taux entre 0,05 et 0,08. Deux de ses collègues, les coroners Julie A. Blondin et Yvon Garneau, ont également fait cette recommandation dans des rapports déposés, respectivement, en mai 2023 et en octobre 2023. Une recommandation dans le même sens est également venue de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).
Interpellé à plusieurs reprises sur cette question, le gouvernement caquiste a systématiquement refusé d'envisager cette possibilité.
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne